Aux colères pacifiques…


C’est une femme accusée d’avoir perpétré un acte insultant dans un lieu sacré et tradi­tionnel. Aucun procès ne vient condamner le fait, aucune information recoupée ne vient corroborer ce que les on-dit rapportent. C’est donc la photographie d’une présumée innocente, soupçonnée d’avoir fait un geste dont on ne connait pas vraiment la nature, visiblement frappée puis mise à nu, qui circule sur les réseaux sociaux. Bien évidemment, les commentaires jugent déjà, jugent beaucoup et créent une polémique où les uns en appellent à la vengeance, les autres à la mise à mort et beaucoup à l’éternelle mais puérile concurrence entre « la foi de l’un et la foi de l’autre ». D’un côté, la vindicte populaire qui, faisant fi de la loi, se fait une justice privée et personna­lisée. De l’autre côté, la propagation d’une humiliation, s’apparente déjà à une condamnation de la personne. Le geste qu’on lui prête, si encore ce geste a eu lieu, peut avoir un million de raisons que les investigations sérieuses tireront au clair. Mais que signifie l’autre geste, celui de partager des faits de violence, les encenser, vouloir les justifier On explique souvent la recrudescence de la vindicte populaire comme le fruit d’une perte de confiance des citoyens en la justice malgache. Mais que dire quand elle vient aussi gratuitement, pour un geste dont les règlements traditionnels tels que les dinampokonolona ont de toute manière prévu des peines à la hauteur de la faute et qui aurait pu se régler pacifiquement et humainement Nous avons sans doute atteint un seuil de stress tel que nous nous enflammons rapidement, presque sans recul et sans réflexion quant aux impacts de telles violences – tant, dans le propos que dans l’acte – sur nos communautés. Pire encore. En lisant les commentaires ici et là, l’on se rend bien compte que l’acte d’humiliation et de violence est compris comme étant un fait qui n’est pas vraiment choquant, qui est presque risible. Ni choquant, ni fâcheux, et même le vecteur normal de la colère populaire qui n’a plus été habituée à être écoutée – et donc à s’exprimer – sereinement. Un cercle vicieux que les repères perdus d’une éducation bancale, tant au sein des communautés que dans les familles, n’ont pas réussi à contrecarrer. Nous cultivons la violence, parce qu’au final, nous ne connaissons plus la manière pacifique. Nous, en tant que peuple et nous, en tant que gouvernants et gouvernés. Ce cas qui tourne sur la toile n’est-il pas l’exemple très local de ce que nous nous faisons endurer mutuellement, dès lors qu’une colère se dessine J’en appelle toujours aux voix que l’on écoute et qui doivent condamner ouverte­ment. L’escalade de violences continue dans son élan, sans que l’on entende distinctement un rappel à l’ordre par les chefs traditionnels, par les chefs spirituels de tous bords, encore moins par les autorités. Le silence n’incite-t-il pas la violence à continuer son parcours sangui­naire, puisque les barrières morales censées l’empêcher d’avancer ne fonctionnent pas plus efficacement que çà ? Condamner et expliquer. Expliquer qu’on a le droit d’être en colère et de l’exprimer pacifiquement. Qu’il est salutaire de partager son sentiment mais dans le respect de l’équilibre de la communauté. Expliquer aussi à quelques instances si promptes à la violence, qu’il est possible de faire comprendre sa position sans avoir recours à des scénarios de conflits armés, à grands renforts de bombes lacrymo­gènes et intimidations. On estime souvent que le pacifisme est lent et compliqué. Vu sous cet angle, la violence est aussi expresse que simpliste. Mialisoa Randriamampianina
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