Sorry, leitsy, petit gars


Le tampon. Le tampon du pouvoir. Le tampon d’avec la réalité. Le tampon de la distance. Le tampon de l’indifférence. Dans les cocktails de l’exercice du pouvoir, on vient pour voir et être vu. Dans les limousines et 4x4 du pouvoir, les vitres super-teintées servent à ne pas voir plutôt que d’être vu. Même mon choix de cette langue française est déjà un choix tampon. Le petit gars vit sa détresse en malgache. Ce gosse sur ce trottoir d’Anosy, dans le crépuscule, avec pour seul grand écran la file interminable des voitures obnubilées par leur(s) embouteillage(s). La raison pour laquelle, sans doute, mais qu’en saurai-je jamais, cet enfant préféra baisser la tête et consacrer ses yeux à quelque jeu imaginaire (le mot virtuel aura-t-il jamais le même sens pour lui que pour nos gosses jouant à distance, connectés avec des adversaires invisibles et surtout inconnus, à supposer même qu’ils existent) malgré la présence devant lui de cette ancienne boîte de margarine, sébile plastique pour l’aumône dans une mégapole tananarivienne désormais trop méga pour elle même et ses pauvres infrastructures d’ancien chef-lieu d’une colonie de 1896-1960... Quelqu’un avait pu écrire qu’on reste un enfant, avec l’innocence et les rêves de cet âge, quand un ours en peluche pouvait être un super-héros ; que passer à toute vitesse sous une table à manger procurerait la même adrénaline que grimper Pikes Peak ; que Papa avait explication à tout... De ce regard d’enfant, que reste-t-il ? Ce regard d’enfant eut-il jamais émerveillement... Petit gars, sorry, azafady leitsy, ce que je t’aurais donné hier soir, aurait été davantage pour apaiser ma conscience que véritablement te rendre service. À un peu manger avant d’aller se réfugier entre carton et «bodofotsy» à même le trottoir : 500 FMG, 1000 FMG, 2500 FMG ? Compte-t-on en Ariary ou en FMG quand on n’a pas un kopek ? Les institutions financières, politiques, médiatiques, évoquent un «seuil de pauvreté», mais quel seuil peut-il donc être plus bas, plus humble, plus humiliant, que celui devant les yeux, au ras-du-sol, du fils d’un autre gosse dont il n’aura même pas reçu les réflexes d’être un homme plus que d’être simplement adulte ? J’ai eu un moment d’hésitation, leitsy, et ta présence malheureuse m’a obsédé jusqu’à ce que je puisse me saisir de cet azerty en exutoire. Si j’avais pu, si je pouvais. Il faudra donc désormais marcher en se munissant de menues monnaies : le Conseil des Ministres sait-il combien des pièces qui ont encore valeur de circulation ne circulent de fait plus du tout : sauf à servir à la «conversion» à laquelle se livrent les grossistes et les «gros» mendiants ? La distance, le tampon, le sas : à trop bien l’organiser, on en arrive à ces court-circuits de Versailles, le palais, à Bastille, la guillotine. Messieurs les trois derniers présidents de la République ou Chef de l’État, Messieurs les deux derniers Premier Ministre, Messieurs les anciens Ministres devenus candidats : voilà le pays, voilà la réalité, voilà Madagascar.
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