Bemiray - « Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière »


Transmettre le flux vital, devenir l’ancêtre d’une innombrable famille, ajouter au prestige d’une généalogie que les fils raconteront à leurs fils, la vie se lit sur les tombes du Menabe où se sont croisés sans se fondre deux arts funéraires proches l’un de l’autre : celui des migrants venus du Grand Sud, et celui des « Maîtres de la terre » tompon-tany sakalava. Tom Andriamanoro ouvre sa chronique sur ce sujet.Culture - Art des morts, art vivant Dans le Menabe, la vie et la mort ont un sens que leur riche art funéraire rappelle en permanence aux Sakalava et à leur ramification vezo. Cet art sans mécène raconte les « fomban-drazana » ou coutumes ancestrales gravées dans des sculptures riches en symboles, dont les plus anciennes ont fini par s’abattre sur le sable des dunes. Ainsi s’est aussi effondré le royaume sakalava et, dans les cimetières d’aujourd’hui, on peut regretter que le ciment prenne de plus en plus de place. L’art funéraire sakalava authentique est-il appelé à disparaître avec le mode de vie qu’il évoque et qui remonte, aussi loin que l’on sache, à la fin du XVe siècle et au roi Andriamandazoala, le seigneur devant qui la forêt se dessèche ? À la fin du XVIe siècle, le royaume du Menabe était solidement fondé, avec des stratifications sociales très marquées qui renforcent l’aristocratie au détriment des roturiers. Les tombes portent un témoignage de cette tradition. Elles définissent la mort, exposent les liens qui unissent les ancêtres aux vivants sans qu’il y ait interférence, rappellent l’impérieuse nécessité de transmettre le flux vital, précisent le statut social du défunt et de son groupe. Comme l’expliquait le Pr Vérin, le défunt ne meurt pas, il accède à un nouvel état à travers des péripéties semblables à celles de la venue au monde d’un être vivant, depuis la conception jusqu’à la naissance. Il doit être guidé dans son cheminement vers son nouveau statut, et doit comprendre qu’il est inopportun de revenir troubler les vivants dont le rôle, qui fut le sien autrefois, est de transmettre le flux vital. La séparation doit être nette et définitive car entre la vie et la mort, entre l’être et le néant, il existe une contradiction absolue que ne saurait admettre la symbolique sakalava. L’être continu et l’être discontinu s’opposent, et de cette dialectique naît un être nouveau, l’ancêtre. Nouvelle situation du défunt Après les multiples détours par lesquels on mène son corps jusqu’au lieu d’inhumation pour le désorienter, la disposition du tombeau achève d’expliquer au défunt sa nouvelle situation. Selon Lombard, le rectangle dessiné par le tombeau correspond au rectangle de la destinée (vintana). Les relations matrimoniales sont interdites entre personnes nées sous des destinées opposées qui terminent les diagonales, et autorisées à ceux que marquent des destinées compatibles liées par les côtés du rectangle. En cas de mort du conjoint, l’union ne pouvant se perpétuer entre morts et vivants, l’épouse occupera sur le tombeau le sommet opposé au défunt et y sera représentée par une statuette d’oiseau auquel fait face un autre oiseau. La seconde diagonale viendra couper celle des époux comme pour les séparer définitivement. Les oiseaux représentent symboliquement le passage entre les morts et les vivants. Sur les tombeaux des hommes, les oiseaux érotiques et les femmes représentent le lignage. La femme amoureuse qui accueille le petit homme accroché comme un insecte à son flanc, est le catalyseur de l’homme. Elle lui ouvre successivement les portes du monde des vivants, puis celles de l’ancestralité. Une tradition veut que l’homme meure la tête posée sur les cuisses d’une femme. Au dernier soupir, il quitte ce monde et commence son statut d’ancêtre à la même place que le jour de sa naissance. Et si sa descendance est nombreuse, c’est-à-dire s’il a bien transmis le flux vital, son tombeau s’ornera de statues érotiques. Gare alors aux « sexplorateurs » venus d’autres civilisations qui n’y comprennent strictement rien et viennent piller ces tombes pour satisfaire leur libido… Le tombeau sera enfin entouré d’une palissade ou « vala », à la fois une marque de respect et une précaution pour emprisonner l’esprit du mort : simples planches pour les roturiers et pieux pointus pour les nobles. Les côtés Nord et Sud portent les principaux éléments de la cosmologie sakalava ou vezo : caïman, zébu, poisson, scorpion, maison, pirogue, et toujours des couples enlacés. Sur les tombes des nobles se dressent également des mâts appelés « voly hety » qui permettent d’identifier très précisément leur lignage ou « taminga», dont les marques se retrouvent sur les oreilles de chaque zébu de leurs troupeaux. Et les générations les reconnaitront, à la vie, à la mort… Découverte - Une sagesse venue du Pays des Tigres -Comme dans la graine l’arbre existe avec ses feuilles, ses fleurs, ses branches, fruits, troncs et racines, ainsi ce monde existe en Brahman (Yoga Vasishtha) -De l’irréel, conduis-moi au réel, de l’obscurité, conduis-moi à la lumière (Prière védique) -Cet Univers est Pure Conscience, tout est Brahman, éternel, impérissable (Yoga Vasishtha) - Je suis l’Atman qui habite le cœur de toute créature, je suis le commencement, la durée de la vie, et la fin de tout… Radieux comme le soleil, comme le feu, flamboyant, sans limite (Bhagavad Gita) -Quelle que soit l’offrande qui m’est faite en tout amour, fruit, eau, feuille ou fleur, je l’accepte car ce don est amour, offrande du cœur (Bhaga Gita) -Je suis le parfum des fleurs, je suis la beauté des feuilles. Beauté des Beautés, je suis l’expérience derrière toutes les formes (Yoga Vasishha) -Je suis la Félicité-Conscience, Shiva est en moi et je suis Shiva « Om ! » La légende des siècles se résorbe dans le pourpre et l’indigo annonciateurs de la nuit. Une à une les étoiles s’allument comme des diamants éclatants. Salut à toi, Rajasthan, Terre des Rois, Terre de Lumière ! Salut à vous tous, Fils et Filles du Rajasthan qui, à travers les siècles n’avez cessé d’incarner l’Idéal immortel de vos Sages et de vos Dieux ! (Francis Brunel) Aviation - Aux côtés de l’enfance défavorisée On peut passer ses journées ou ses nuits de travail à des milliers de mètres d’altitude, ce n’est point une raison de regarder la terre et ses problèmes de haut. Les pilotes membres de l’Association Latécoère, du nom du fondateur de l’Aéropostale, le savent, eux qui organisent tous les ans des raids dans le monde entier pour venir en aide aux enfants démunis, principalement sur le plan scolaire. Madagascar a déjà figuré dans leur agenda il y a de cela une bonne dizaine d’années, et leur passage dans les localités programmées par leurs six monomoteurs est resté dans les mémoires. L’opération avait été organisée avec le concours de SOS Village d’Enfants. Antsirabe. Les avions étaient impatiemment attendus par les petits pensionnaires. Embrassades, photos, et surtout baptêmes de l’air. Les enfants étaient tendus à l’embarquement, mais après cette expérience près des nuages, ressortaient avec un sourire jusqu’aux oreilles. Après les vols, familles, éducateurs, équipages partagèrent un repas bien malgache à Ivohibe. Morondava. Visite du collège de l’Immaculée Conception. Une classe de cette école était inscrite au concours d’écriture numérique de Femmes Leaders Mondiales. Survol de l’Allée des Baobabs et des Tsingy. Mahajanga. Accueil en chansons par les enfants et baptêmes de l’air. Au Centre nutritionnel du village et après la remise de fournitures, les « Vazaha » eurent droit à un petit spectacle donné par les enfants et un mini-bal dans la cour. Antsiranana. Visite de l’école Soamiandry dans un des quartiers les plus défavorisés de la ville. Des conditions d’étude plus que précaires dans des cases en tôle. L’Association fit un don destiné à l’achat de fournitures et de matériels pédagogiques. Très bref passage à Sainte-Marie où les pilotes ont nénamoins pu se rendre sur le chantier d’une école en construction. Toamasina. Accueil riche en émotion, baptême de l’air. Ici le football permet aux enfants oisifs de revenir à l’école et d’atteindre le niveau du CM2 en quelques mois. Remise de fournitures et d’un don. Retour à Antananarivo. Apprentissage de danses traditionnelles malgaches dans la bonne humeur. Remise de fournitures et d’un don pour l’achat de six tableaux. Visite également du Centre de formation professionnelle Tantely pour jeunes filles de 14 à 20 ans. D’autres raids attendent Latécoère dans d’autres pays, le monde est si vaste. Mais ils reviendront, promis ! Avec la même volonté d’unir les hommes grâce à l’avion, et d’apporter aux démunis cette part d’espoir et de joie à laquelle eux aussi ont droit… Rétro pêle-mêle Mémoires d’éclipse. On est en 2001. Herizo, un ami journaliste a eu la chance d’intégrer un groupe composé en majorité d’Américains pour suivre « l’éclipse du siècle », là où la visibilité avoisine les 100%. Campement au bord du Mangoky entre Ambiky et Bevoay. Un spectacle féérique sur deux niveaux. « Voir le reflet de l’éclipse dans le fleuve était une expérience stupéfiante. Dans un angle d’incidence assez large, on ne pouvait voir à l’œil nu qu’une étendue de lumière scintillante à la surface. À l’aide des lunettes il était possible de suivre le spectacle dans son intégralité et en double : l’un dans le ciel et l’autre dans l’eau ». Le veinard ! Pour ma part, j’étais resté dans ma banlieue à 13km de la capitale. Plus intéressé par la réaction des gens que par le phénomène lui-même. Je prends un petit sentier sur ma droite et croise deux jeunes filles, dos voûté, mains en visière et regard dirigé vers le sol. Il n’est pourtant que 15h30 et l’Apocalypse  n’est programmée que dans une heure. À part les deux jouvencelles, le vide total, pas même un chien errant, Nagasaki les ruines en moins. Un doute absurde m’envahit. Et si tous ces gens barricadés chez eux n’avaient pas tort ? Et si une catastrophe se préparait ? Vite rentrer, retrouver la raison, me préparer aux trois coups car une visibilité à 88,2%, ce n’est pas rien. 16h31, tout commence à l’instant prévu, c’est beau la science ! Une onde de froid, mais, petite déception, pas la moindre pénombre. Tant pis, j’ai quand même vécu ce qui m’était donné de voir. Un coup d’œil furtif vers Phébus mort et ressuscité. Le village est intact, sortez maintenant, braves gens ! Lettres sans frontières Henri Lopez Dans Tribaliques L’avance « Carmen, j’en ai assez. À chaque fois que j’ai besoin de vous, vous n’êtes pas là. Ma chère, je vous préviens, si vous êtes encore absente une fois dans le même mois, vous irez chercher du travail ailleurs. » Comment lui expliquer ? Carmen a bien essayé, mais les Blancs s’imaginent que lorsque nous ne venons pas au travail, c’est aussitôt pour nous reposer. Et aujourd’hui, la voici venue travailler malgré la santé de son Hector. À midi, sa sœur lui a fait dire que le médecin avait prescrit une ordonnance. C’est toujours la même rengaine. Avec quoi payer ? Pourtant il faut que son Hector guérisse. Ce soir-là, Madame est passée à la cuisine. -Comment, Carmen, vous n’êtes pas encore partie ? -Madame, j’ai besoin d’argent. -Encore ! Mais il y a à peine dix jours que je vous ai payée. -Mon enfant est malade. Il a besoin de médicaments. -Tiens, voyez-moi ça. Et c’est moi la Sécurité Sociale. Ça fait des enfants avant d’avoir un mari et après ça n’arrive même pas à les élever. Il est malade ce gosse ? Je vous avais pourtant dit qu’il fallait lui donner à manger. Évidemment, c’est plus vite fait de lui bourrer le ventre avec votre sale manioc ! Et elle a parlé pendant longtemps encore. Carmen n’a pas tout compris et s’est contentée de faire oui de la tête. Peut-être cela a-t-il apitoyé Madame ? Elle lui a donné de l’aspirine et promis de l’argent pour demain. Alors Carmen la négresse est partie. Elle avait envie de courir, tant elle sentait qu’Hector avait besoin d’elle. Elle a brusquement eu l’impression qu’Hector l’appelait. Et puis elle a repensé à tout ce que Madame lui a dit. Jamais elles ne se comprendront. Les voitures passaient dans les rues mal éclairées, et personne ne s’arrêtait pour la prendre. Aujourd’hui chacun va sa vie. Pourvu que Madame n’oublie pas de lui donner l’argent des médicaments demain… En entrant dans la rue Biza, elle entendit des cris de femmes dans le noir. Mwana mounou mê kouenda he ! Hector he Mwanda mounou mé kouenda he! Elle comprit que médicaments ou féticheur comme l’a proposé sa mère, il était trop tard. Textes : Tom Andriamanoro – Photos : AFP – Archives
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