La ruralisation vue par le président Philibert Tsiranana


Sous la première République, le président Philibert Tsiranana n’a jamais caché sa volonté d’assurer d’abord l’autosubsistance alimentaire du peuple malgache, par les paysans. En contrepartie, les citadins doivent apporter à ces derniers ce dont ils ont besoin, comme la santé, l’instruction… Mais pour ceux-ci, il ne s’agit pas d’une sanction. Au contraire, c’est une récompense pour les fonctionnaires que d’être désignés pour travailler à la campagne. Le 10 octobre 1967, dans un discours prononcé au Palais d’Andafiavaratra, il aborde la nécessité et les avantages de la ruralisation. Il affirme notamment que la vie sociale et familiale, par exemple d’un instituteur, à la campagne est d’un autre niveau qu’à la ville. Il cite alors les avantages qu’il en tire : «Son utilité, son standing, son prestige sont plus grands et ses satisfactions professionnelles et sociales beaucoup plus importantes. » Dans son discours, Philibert Tsiranana s’adresse alors aux premiers concernés, ceux qui font des études et leurs familles, de préparer « ce contre-courant à la citadinite» qu’est la ruralisation, et « ce contre-pied de la fonctionnarisation» qu’est l’utilisation des diplômes à la campagne, dans le secteur privé comme dans les activités individuelles et indépendantes. La vie du fonctionnaire à la campagne, insiste le Président, comparée à celle du citadin, est plus aisée bien qu’il ne voit pas le cinéma, le théâtre, les grands magasins, les belles voitures qui circulent. « Mais il n’est pas le dernier. » Pour motiver les agents de l’État, il cite son propre exemple. « Lorsque j’étais instituteur à la campagne, à Antsirabe dans le district de Mandritsara, ou à Antsahabe du côté d’Antsohihy, j’étais quelqu’un… C’est moi qu’on réclamait dans le village, j’étais le premier citoyen du village. » Et quand il a «eu le malheur» de réussir le concours de professeur-assistant et qu’il est désigné à Antananarivo, on l’ignore tout simplement ! « On ne me connaissait pas, j’étais le dernier dans la capitale ! On ne me connaissait pas pour les invitations aux fêtes et manifestations: monsieur Tsiranana, on ne connaissait pas, alors qu’en brousse j’avais toujours la place d’honneur ! » C’est un grand avantage, selon lui, et il est indispensable et urgent de le faire comprendre à la nouvelle génération. Ces jeunes « qui, en ville, seront des microbes invisibles ». Philibert Tsiranana ne cache pas qu’une telle conversion n’est pas chose facile, « car beaucoup n’y croient pas ». Continuant son discours, il parle de la situation de l’enfant d’une famille paysanne qui s’instruit et obtient des diplômes, car l’État lui en assure tous les moyens s’il a les aptitudes nécessaires. Il peut et doit devenir un paysan instruit, propriétaire d’une exploitation agricole. « Aucun capital intellectuel ne court le risque de rester sans profit à la campagne ; aucun mécanicien ne restera sans travail rémunérateur s’il s’installe dans une agglomération rurale. » Cependant, si le virus du fonctionnariat le travaille, il pourra encore, dans les secteurs publics et parapublics de l’agriculture, de l’élevage, des forêts ou de la coopération, trouver un emploi rémunérateur avec de meilleures conditions d’existence qu’à la ville. Et vivant à la campagne, il pourra s’assurer des commodités que ses moyens ne lui permettraient pas en ville. Le chef de l’État indique que les paysans méritent que l’effort d’alphabétisation soit intensifié. Certes, estime-t-il, on peut réussir sans être lettré, mais on réussit sûrement quand on l’est. En outre, ajoute-t-il, ce qui se fait est excellent et efficace. « Alors suppléons par notre imagination et notre ingéniosité à la limitation des crédits, les Malgaches prêts à œuvrer bénévolement ne manquent pas. Sachons les découvrir et nous assurer leur collaboration pour le profit de nos paysans. » Se tournant vers ces derniers, le président Tsiranana leur demande de continuer sur la voie qu’il leur a suggéré l’année précédente «et qu’ils ont abordée ». Il leur répète que rien ne se fera sans la population rurale, sans leur adhésion totale, sans leur participation. « Faites confiance en ceux qui viennent à vous, et si quelque chose ne vous plait pas ou vous surprend de ce qu’ils font ou de ce qu’ils recommandent, dites-le franchement. Vous n’êtes pas des machines, mais des hommes et des femmes dotés d’un esprit et de votre libre-arbitre : servez-vous-en ! »
Plus récente Plus ancienne