Jeannot Rasoloarison - « En mars 1947, les paysans ont lutté pour leur liberté »


Jeannot Rasoloarison est enseignant chercheur au département d’Histoire de l’Université d’Antananarivo. Il est particulièrement spécialisé dans l’Histoire contemporaine malgache. À l’occasion de la commémoration du 29 mars 1947, il apporte quelques éclaircissements sur l’évènement et n’hésite pas à faire tomber des mythes. Comment définir les évènements du 29 mars 1947 ? Il s’agit d’une révolte menée par des paysans malgaches de la côte Est. Ils ont voulu, avant tout, se libérer de l’oppression coloniale. Ils étaient, en fait, encadrés par les membres des sociétés secrètes : le « Jina » et le « Panama ». Des sociétés secrètes ? Oui. Elles ont été créées durant la Seconde guerre mondiale. Le Jina était basé à Antananarivo et le Panama sur la côte Est, à Toamasina. L’objectif de leurs dirigeants était de lutter par les armes pour obtenir l’indépendance. C’est en vue de l’atteinte de cet objectif qu’ils ont soutenu et encouragé les paysans à se soulever et à « mettre dehors les colonisateurs français », d’après leur expression. D’un côté, nous avons les membres des sociétés secrètes qui ont planifié la révolte sur la côte Est et de l’autre, les véritables acteurs, les paysans, qui se sont soulevés avec les armes à leur disposition. Voilà le point de départ du soulèvement de 1947. Pourquoi la côte Est ? Les petits colons, on les appelait aussi les « colons marécageux », habitaient la côte Est. Ils n’avaient pas d’importants moyens financiers pour pouvoir bien mettre en valeur leurs exploitations. Ils ont exploité la force de travail des Malgaches. À l’époque, les Malgaches étaient régis par ce qu’on appelle le Code de l’indigénat où chaque homme âgé de 16 à 60 ans pouvait être mobilisé pour la cause de l’administration coloniale. Les petits colons de la côte Est ont profité de ce système pour fructifier leur gain. Ils se sont enrichis aux dépens des paysans malgaches. Ces derniers n’ont pas accepté cette injustice et c’est en quelque sorte pour se libérer de cette oppression qu’ils ont accepté de prendre les armes. Les paysans étaient-ils nombreux à se soulever ? Pour bien comprendre l’importance du mouvement, situons d’abord sa zone géographique. Il y avait d’abord le secteur Nord, situé autour de Moramanga, Toamasina, jusqu’à Fénérive Est. Puis il y avait le secteur Sud : Fianarantsoa, Ambositra, Mananjary et Vohipeno. Dans tous ces secteurs, le soulèvement était majoritairement suivi grâce, notamment, à l’influence des « mpimasy », des guérisseurs traditionnels qui s’occupent en quelque sorte du bien-être des villageois. Comme ils ont une autorité morale sur l’ensemble de la population, tout le monde accepte leurs directives. De ce fait, tous ont pris les armes, y compris les femmes et les enfants. Les archives concernant cette révolte ont été ouvertes il y a vingt-sept ans, en 1997 précisément. Où peut-on trouver des documents sur cet évènement ? Aux archives nationales à Tsaralalàna. En France, il y a les archives nationales d’Outre mer à Aix-en-Provence, celles du service historique de la défense à Vincennes dans la région parisienne, et également les archives judiciaires. Mais ces dernières ne sont pas encore ouvertes au public à cause de la règle de prescription de cent ans. Les archives judiciaires concernent des affaires personnelles avant tout. Or, la règle de prescription stipule que lorsqu’une affaire touche un individu, la règle de cent ans s’applique. En France, seules les archives concernant l’administration civile ainsi que celles militaires ont été mises à la disposition du public. L’ouverture de ces archives ont-elles permis de faire avancer les recherches ? Absolument. Grâce aux documents retrouvés dans les archives militaires à Vincennes, par exemple, nous pouvons avoir une idée sur le déroulement des combats entre les insurgés et les forces militaires françaises. C’est également grâce à elles que nous avons pu démystifier des faits relatifs à quelques épisodes de l’insurrection. Par exemple, dans la région du Fisakàna, on avait toujours cru que le fameux chef Pelimaitso, invincible grâce à ses amulettes, a été tué parce que des traitres avaient livré les secrets de leurs interdits à l’ennemi. Or, les archives militaires stipulent qu’il a été tué au combat par une grenade. Des mythes se sont donc effondrés … En quelque sorte, mais c’est également grâce à ces archives militaires françaises que l’on a pu constater le rôle important dans l’insurrection, des tirailleurs malgaches, qui ont combattu pendant la Seconde guerre mondiale en France. Ce sont eux qui ont encadré les paysans et les ont surtout encouragés à poursuivre la lutte. Ces gens étaient témoins de la défaite de la France face à l’Allemagne nazie. Ils se sont alors dit que si l’armée française a pu être un temps battue par l’Allemagne nazie, la victoire pouvait donc être possible à Madagascar. Est-ce que la France participe à une meilleure connaissance de cet évènement ? et puis surtout, a-t-elle admis sa responsabilité par rapport au 29 mars 1947 ? Au début des années 2000, des chercheurs français comme Jean Fremigacci ont commencé à dire dans leurs écrits que les forces militaires françaises ont commis des atrocités dans la répression du soulèvement. C’est à partir de là que des responsables étatiques français, comme le président Jacques Chirac, ont commencé à admettre la responsabilité de la France dans cet épisode douloureux de l’Histoire commune des deux pays. Et justement, pour faire la lumière sur ces évènements de 1947, le ministère de la Culture français facilite le travail des chercheurs en permettant l’accès aux archives qui sont encore frappées de non communicabilité. Il y a, en effet, encore des documents qui ne peuvent être ouverts qu’en 2020 ou en 2030. On fournit aux chercheurs des dérogations pour qu’ils puissent avancer dans leurs travaux. Les chercheurs malgaches s’intéressent-ils à ce pan important de l’Histoire ? La réponse est oui. Vous avez des travaux qui ont été menés par les historiens, les enseignants-chercheurs de l’Université d’Antananarivo, ainsi que ceux de Toamasina. Des étudiants ont également effectué des travaux de recherche du niveau master ou doctorat. Et l’on peut retenir de ces travaux que ce sont avant tout des Malgaches qui ont élaboré cette lutte. C’est seulement après qu’il y a eu une infiltration de la Sûreté générale de l’administration coloniale dans les bureaux des sociétés secrètes. C’est grâce à ce qu’on appellerait aujourd’hui dans le langage de l’espionnage, les agents doubles que l’administration coloniale a pu connaître l’organisation mise en place pour le déclenchement de l’insurrection et a conduit à son échec. Qui sont ces chercheurs ? Vous-même, vous êtes-vous intéressé à la question ? Oui, parce que je me suis spécialisé dans l’Histoire économique et sociale et dans l’Histoire politique de Madagascar pendant la colonisation. Ce sont, en fait, surtout les chercheurs qui s’intéressent à l’Histoire politique qui ont orienté leurs recherches sur la question. Mais je voudrais parler, si vous me le permettez, du problème de la vulgarisation. J’ai cité tout à l’heure le nom d’un collègue, Jean Fremigacci. Il avait sorti plusieurs publications sur l’insurrection de 1947 dans la revue Tsingy, éditée et publiée à La Réunion. La revue est disponible à Madagascar mais ce sont les Malgaches eux-mêmes qui ne sont pas intéressés par la lecture de ces travaux. En 2005, nous avions également sorti un ouvrage sur l’insurrection de 1947, qui a vu la participation de chercheurs malgaches et français. Pourquoi n’avons-nous essentiellement qu’une vision historique politique de l’insurrection de 1947 ? Parce que ce sont d’abord les histoires politiques qui sont traitées autour de 1947. Mais tout récemment, une collègue, Milson Sylvie Rasoanandrasana, a commencé à s’intéresser à la dimension culturelle de cette insurrection. J’ai moi-même participé à l’encadrement de cette thèse. Elle a bien mis en évidence le rôle, l’influence des «mpimasy» dans le mouvement. Ce sont, par exemple, eux qui ont servi de relais aux actions de l’état-major politique du MDRM, le parti politique malgache qui a réclamé l’indépendance en 1946 et 1947. Les «mpimasy», avec les tirailleurs, étaient chargés de transmettre à la base, les paysans, cette volonté d’indépendance. Quel est l’héritage du 29 mars 1947 ? Qu’est-ce que cet évènement a apporté à notre mémoire collective ? Des collègues du département d’Histoire avaient effectué des enquêtes sur la perception des Malgaches des évènements de 1947. Et malheureusement, il s’est avéré que pour les citadins, surtout aujourd’hui, le 29 mars 1947 se résume au jour férié. Ceux qui ont un peu de connaissance pensent que le 29 mars 1947 est une lutte menée par le MDRM pour la libération nationale. Or ceux qui ont véritablement combattu en 1947 ont montré de l’héroïsme. Ils n’ont pas eu peur de la mort pour recouvrer leur propre liberté. Et c’est cette idée de combat pour la liberté, pour un idéal, qui manque aujourd’hui. Pourquoi cet idéal n’a-t-il pas pu survivre jusqu’à notre époque ? Simplement parce que ceux qui ont détenu le pouvoir depuis 1960 n’ont pas un lien véritable avec cette lutte de 1947. L’indépendance de Madagascar en 1960 était, comme on dit, une indépendance octroyée. La France n’a plus voulu supporter les coûts de la colonisation. Les Français ont ainsi donné le pouvoir à des personnes en qui ils avaient confiance. Ces personnes sont les descendants, ou ont milité dans les rangs du Padesm, ou le Parti des déshérités de Madagascar. Il a été présenté comme étant l’adversaire du MDRM puisqu’il a voulu seulement l’émancipation de Madagascar et non pas son indépendance proprement dite vis-à-vis de la France. Ils n’ont donc pas eu d’intérêt à faire revivre la mémoire du mouvement. Mais a-t-on au moins eu le désir de faire revivre cet idéal ? Lorsque le président Philibert Tsiranana a institué en 1967 la première commémoration, il avait pour objectif de réconcilier les Malgaches entre eux. Puisqu’il y avait eu ceux qui étaient pour cette lutte et ceux qui étaient contre. Au temps de la Deuxième République, on avait essayé de faire revivre cette lutte en préconisant la révolution des mentalités à travers la révolution nationale démocratique du Président Didier Ratsiraka mais cela n’a pas non plus pu passer. Dans son autobiographie, l’amiral avait lui-même reconnu que les gens n’étaient pas prêts à changer de mentalité. Après, il y a eu le retour de ce que l’on appelle les héritiers du Pedesm au pouvoir et l’idéal n’a pas pu être transmis. Pourtant depuis 1972, des « grèves », des manifestations, qualifiées parfois de cycliques (1991, 2002, 2009), ont été tenues sur la fameuse place du 13-mai de la capitale. Est-ce que, quelque part, il y a quelque chose du 29 mars 1947 dans ces grèves ? Non. À proprement parler, non. Pour la simple et bonne raison que depuis 1972, les différentes grèves ont été organisées par les personnes qui ont lutté pour le pouvoir. Ceux qui ont organisé le mouvement de 1972 ont voulu remplacer les Français au pouvoir. Ils faisaient partie de l’opposition. Le même état d’esprit a continué en 1991, en 2002 et en 2009. La cause de la liberté a été sans doute secondaire pour eux car leur principal objectif était d’évincer du pouvoir un groupe et de prendre sa place. En mars 1947, les paysans ont lutté pour leur liberté. « Malheureusement, il s’est avéré que pour les citadins, surtout aujourd’hui, le 29 mars 1947 se résume au jour férié » Propos recueillis par Rondro Ramamonjisoa
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