De si moches décibels


Mourir à cause de sa voix, telle a été la triste et cocasse fin de vie d'un participant à un karaoké qui a au moins eu le privilège d'être un sujet d'actualité. Avoir été la source d'inspiration de l'avalanche de blagues qui s'est déversée sur les réseaux sociaux peut être perçu comme une bien maigre consolation qui ne peut effacer le dénouement tragique que même Assurancetourix, le barde au talent discutable du village d'Astérix, n'aurait pas imaginé dans ses pires cauchemars. Mais si des fausses notes peuvent exciter et conduire vers ses extrémités les instincts criminels, on se pose des questions sur les limites de la digue qui retient les vagues bouillonnantes de colère et de nervosité produites par les décibels qui dépassent le seuil de tolérance de nos tympans. Quand vente, profit, publicité forment la trinité de la religion commerce, l'art peut être sacrifié et faire office de martyr et la route pavée de son sang et de ses larmes est la voie royale des bénéfices. Il faut, pour vendre une œuvre, envahir le cerveau par l'exploitation de la vulnérabilité de l'oreille, impuissante face à l'intensité sonore du matraquage. Aussi s’ajoutent les musiques assourdissantes et lassantes, pour « édulcorer » la cacophonie du capharnaüm parasité par les décibels provenant de diverses sources comme les klaxons qui pleurent de désespoir, vaincus par les embouteillages sans pitié ; les marchands illicites; les automobilistes ou les transports en commun et les commerces qui tentent d’imposer leur goût musical à toutes les oreilles qui passent, … Platon qui était un adversaire de l’art, hostile à ce qu’il considérait comme une pratique mensongère qui nous éloigne de la réalité, voyait pourtant en la musique un moyen d’élever l’âme. Il aurait eu une autre opinion s’il entendait ces bruits inhérents et représentatifs de la décadence qui touchent plusieurs domaines : culturelles, civiques, morales, … Quand nos journées, qui suivent déjà une folle cadence, sont en plus rythmées par ces décibels, rendus inaudibles par l’interférence, qu’on subit constamment, avoir un instant d’élévation de l’âme est un luxe : ils peuvent certes contribuer à l’amusement, ils sont sûrement utiles aux moments de « fun » nécessaires à toute vie normale. Mais l’histoire des rois francs fainéants qui n’arrêtaient pas de s’amuser, de boire et de manger alors que le royaume était en pleine décadence nous a appris une leçon : la vie ne peut pas se résumer à la fête et à l’amusement. Il faut, par exemple, consacrer du temps à la contemplation : cette élévation de l’âme de Platon. Quelques jours après le décès de Michel Legrand, je vous invite à écouter ses œuvres pour essayer de retrouver cette vertu, cet apport de la musique à la contemplation. Car la musique, celle qui procède de l’art et non d’un but purement commercial, est une aide, un adjuvant de l’esprit qui a besoin de se nourrir d’objets intellectuels. Par Fenitra Ratefiarivony
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