Récidive électorale


Inimaginable il y a cinq ans : le record établi en 2013 a été détrôné. Le nombre 33 est balayé par 36. La pléthore de partici­pants à la quête attisée par l’éblouissement qui émane du pouvoir suprême est historique. Attirés, tels des insectes par la lumière du réverbère, par la perspective d’une vie de château, beaucoup (pas tous) ne lésinent pas sur les moyens quasi-illimités à leur disposition pour écraser la concurrence qui, une fois encore, risque de ne se contenter que des miettes, ne pouvant lutter à armes égales dans la manipulation de la foule dont la raison succombe sous les coups des spectacles et des gadgets. Mais ce nombre met également une catégorie d’électeurs dans l’embarras. Faute de sondages, les médias sont quasi-unanimes sur les trois favoris de cette course. Mais du côté des com­mentaires du public, un nombre considérable répond : aucun des trois. On a toujours cette partie qui demande l’onction d’une nouvelle tête et qui devrait donc, en ce moment, être gâtée par une situation d’embarras du choix : les inconnus, les novices ont répondu massivement à l’appel. Pourtant, on les appelle les un pour cent ou les zéro virgule. Imaginer une affiche du second tour avec l’une de ces têtes relève, pour le moment, d’une innocente rêverie. Pour l’instant donc c’est : trois acteurs principaux et trente-trois figurants. Ce rapport de force, qui influence les pronostics, est la confirmation de la théorie de Mikhaïl Bakounine qui dit que le suffrage universel « ne sera jamais rien qu’un odieux mensonge, l’instrument le plus sûr pour consolider, avec une apparence de libéralisme et de justice, au détriment des intérêts et de la liberté populaires, l’éternelle domination des classes exploitantes et possédantes ». Et on est sur le point de donner raison à Marx : le pouvoir est détenu par une classe dirigeante qui se sert de l’État démocratique pour dominer la classe défavorisée. L’énorme fossé qui sépare ces deux classes est l’indicateur de cette séparation de deux mondes. La classe dirigeante, cloîtrée dans les palais, n’incarne pas une volonté populaire consciente et lucide. Du haut de son pinacle, cette classe dominante se tient éloignée du peuple enlisé au fond du gouffre qui les sépare l’un de l’autre. Depuis le bord du précipice, les démagogues parviennent facilement à contrôler le choix des égarés, disetteux sur le plan matériel et intellectuel, réduisant à néant les chances de ceux qui sont acculés à un rôle décoratif. On s’achemine donc, apparemment, soit vers un renouvellement de confiance, soit vers du neuf avec du vieux. Devant l’apparente inéluctabilité du sort, à quoi bon encore faire entendre sa voix ? De plus, contrairement en Belgique où voter est obligatoire, notre code électoral ne punit pas l’abstention. S’abstenir, c’est en quelque sorte, comme l’a dit Rousseau, une manière de refuser de participer au mal. « Il y a quelque chose de pourri dans l’empire du Danemark » dit Marcellus dans Hamlet (W. Shakespeare). On n’éradique pas la pourriture avec les millions de voix bradées sur le marché du spectacle. En 1794, lorsque condamné à mort, Lavoisier demanda un sursis pour achever une expérience, le juge Jean-Baptiste Coffinhal répondit : « La République n’a pas besoin de savants ». La formule est sans doute apocryphe, mais la citation est la propriété des classes dirigeantes dont la politique éducative entretient le travail de l’anesthésie qui met la raison sous sédatif. Pas étonnant qu’on s’apprête à faire une énième récidive électorale. par Fenitra Ratefiarivony
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