Zouzar Bouka - « Il y a une immaturité politique de certaines élites »


Le Chairman du Groupe Vima n’hésite pas à pointer du doigt ce qui bloque le développement du pays, mais propose, en même temps des solutions concrètes pour que Madagascar puisse réussir. Vous qui êtes en relation avec les investisseurs étrangers et qui en avez fait venir un certain nombre à Madagascar,  quelles sont les appréhensions de ces derniers par rapport à l’investissement à Madagascar ? Je suis de ceux qui croient beaucoup en la vertu des investissements directs étrangers. Tous les pays qui se sont développés, ces trente dernières années, sont ceux qui ont ramené des investissements directs étrangers. C’est le cas de la Thaïlande, de la Malaisie, de l’Indonésie, de la Corée du Sud. Tous ces pays n’ont pu se développer que parce qu’ils ont ouvert leurs portes aux investisseurs étrangers. C’est pourquoi, nous travaillons pour en faire venir le maximum à Madagascar. Maintenant, avant de parler de leurs éventuelles appréhensions, je voudrais préciser que les gens qui viennent à Madagascar sont contents de venir. Quand ils arrivent, ils voient une population sympathique, hospitalière. Malgré tous les problèmes politiques qu’il a pu y avoir ici, nous sommes une population pacifique et il n’y a pas trop de dégâts. Pour un investisseur, Madagascar est un pays béni : les gens sont travailleurs, bosseurs, et il y a la stabilité. Dans le sens où il n’y a pas de guerre civile, comme il peut y en avoir dans d’autres pays. Ce sont des points positifs. Mais il y a des points négatifs … Pour ce qui est des appréhensions, je dirais que ce qui inquiète le plus, c’est l’absence de la continuité de l’État. L’État s’engage, puis quand un autre arrive au pouvoir, les contrats et les engagements sont remis en cause. Il y a, je dirais, une certaine immaturité politique de la part de certaines élites, et cela fait peur. Puis, dans un cadre plus général, mais je pense que cela tient au fait de notre caractère insulaire, c’est la peur de la nouveauté. Dès que quelqu’un de nouveau vient, on pense qu’il est mauvais. On l’a vu dans le cas de Symbion. Pendant un an, malgré l’appui du Président, du gouvernement et même de certains responsables de la Jirama, nous avons été ralentis. Il a fallu que l’audit sorte pour que l’on se rende compte que Symbion est le meilleur contrat que la Jirama ait eu ces derniers temps. Que faut-il faire pour améliorer l’environnement des affaires ? Il faut, de plus en plus, laisser faire le secteur privé. Lorsque les entreprises sont nombreuses, la mafia peut, de moins, en moins bloquer les choses. Quand on est entre privés, c’est la loi de la concurrence, la loi du marché, la loi de la qualité qui prime. Madagascar Oil a en stock 160 000 barils de pétrole. Nous avons prouvé que ce pétrole est de bonne qualité. Mais il n’arrive pas toujours à le vendre. Pourquoi Donnez-vous raison au chef de l’État quand celui-ci dit que c’est le secteur privé lui-même qui s’adonne à la concurrence déloyale, etc. ? Il a tout à fait raison. Il y a de vrais mafieux dans le pays qui bloquent leschoses. Mais comme le dit le père Pedro, il ne faut pas faire disparaître le pêcheur, il faut faire en sorte que le péché disparaisse. Comment faire en sorte que ces gens n’arrivent plus à faire ce qu’ils font ?  Si la Jirama était davantage gérée par le privé, automatiquement, les mafieux ne pourraient plus y faire leurs affaires. Les privés iraient acheter le pétrole qui coûterait le moins cher, donc celui de Madagascar. D’ailleurs, comment voulez-vous que l’État puisse gérer toutes ces sociétés avec lesquelles il est en affaire ?  La première responsabilité incombe à ces entreprises privées qui profitent des lacunes de l’État malgache et qui font des profits à court terme sur le dos de la population malgache. Ce n’est ni plus ni moins qu’un crime économique.

                  "La première responsabilité revient à ces entreprises privées                  qui profitent des lacunes de l’État malgache pour faire des profits,                                               sur le dos de la population à court terme." Mais c’est le rôle de l’État d’y mettre le holà et de sanctionner ceux qui doivent l’être, non  ? Sauf que cela n’a jamais pu se faire. Ce qui prouve que ces gens sont puissants. L’autre méthode est donc de les battre. Pourquoi l’État ne reviendrait-il pas à des fonctions régaliennes, comme la justice, la sécurité, la mise en place de grosses infrastructures, quitte même à sous-traiter parfois auprès des privés quand il le faut. Il faut laisser l’économie entre les mains des privés. Dans la plupart des pays qui marchent, l’économie est entre les mains des privés.

Inter2 Quand vous parlez d’investissements directs étrangers, qu’en est-il de la capacité des opérateurs locaux à faire face à la concurrence ?  Avec la concurrence, la méritocratie se met en place. C’est clair que cela devient plus dur parce qu’on n’est plus dans un marché protégé. Mais quand on y est, on se laisse aller et on ne donne pas les meilleurs produits aux clients. L’important est que les règles du jeu soient claires et que tout le monde s’y tient. Vous disiez plus tôt que cela a pris un an pour que les choses se mettent en place avec Symbion, comment a régi votre partenaire américain ?   Il est vrai que le contrat a été signé l’année dernière avec l’appui du président de la République. Mais il y a eu des conditions préalables avant que l’on puisse l’enclencher. Comme on a une concession de vingt ans, il nous a fallu un titre de propriété de vingt ans. Mais quand on a essayé d’avoir ce titre, il y a eu une levée de bouclier. On disait que Symbion veut prendre les terrains de la Jirama. Mais Symbion n’a jamais voulu prendre les terrains de la Jirama. On voulait juste un titre de propriété et cela, le bail emphytéotique le permet. Cela fait partie des mécanismes financiers internationaux. C’est exigé pour que nous puissions avoir des financements en vue de réhabiliter les machines, etc. Il faut que l’on puisse dire que, pendant vingt ans, le terrain nous appartient et que personne ne peut nous le prendre. Il y a une incompréhension, ainsi que de la manipulation des gens par certaines personnes. Toujours est-il que cette condition précédente qui a dû être signée en 24 heures, a pris huit mois, neuf mois, pour être fait. Il y a eu des choses comme ça. Au début, il était même difficile pour nous d’entrer dans notre site parce qu’on racontait des choses sur nous. Pour en revenir à votre question, pour l’investisseur étranger, américain de surcroît, c’était difficile. Mais il faut aussi que les investisseurs comprennent le pays. J’ai eu la chance d’avoir ce genre de partenaires qui comprenaient la réalité, qui comprenaient qu’on venait de très loin, et qui comprenaient aussi la volonté politique du Président d’assainir le secteur. L’investisseur a essayé d’être patient et c’est ainsi qu’on est venu au bout de nos peines. Quand vous dites que Symbion est le meilleur contrat, sur quelle base est-ce ?  On est le moins cher au kW h. On a un Power purchase agreement de vingt ans avec la Jirama. Il s’agit d’un contrat d’achat où la Jirama va nous acheter notre énergie à un prix fixé à l’avance. Nous avons un potentiel de 40Mw, et nous sommes de loin le moins cher. Vous n’êtes pas dans ce type de contrat où on paie le loyer même si la centrale ne fonctionne pas ? Il y a un minimum de location sachant que tout doit être utilisé. C’est clairement mentionné dans le contrat ce que la Jirama doit nous payer. Pourquoi la connexion avec Madagascar Oil ne s’est finalement pas faite ?  L’essai n’a-t-il pas été concluant  ? Au contraire. Nous avons prévu au départ d’acheter nous-mêmes le fioul lourd et de vendre l’électricité à la Jirama. Mais aujourd’hui, il y a une nouvelle donne. C’est la Jirama qui fournit le carburant et notre prix a baissé. On n’est plus à 12 cents comme il était prévu, parce qu’on ne facture pas le carburant. On est aujourd’hui à 2 à 3 cents. Maintenant, c’est à la Jirama de voir un contrat avec Madagascar Oil. Maintenant qu’elle a de bonnes informations, il lui revient de regarder de près. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Il y a la route à mettre en place, la production. Je pense qu’ils trouveront la solution. Mais vous-mêmes, n’avez-vous pas pris en compte tous ces détails quand vous avez pensé acheter le fioul de Madagascar Oil  ? Est-ce faisable ou pas ? Cela reste faisable et il n’y a aucun problème. On a prouvé que la qualité est bonne avec nos machines. Maintenant, c’est une question économique parce qu’il y a effectivement des investissements à faire. Pourquoi avoir décidé que ce soit la Jirama qui va acheter le carburant  ? Au départ, il était prévu que nous fournissions nous-mêmes le carburant. La Jirama devait nous ouvrir une lettre de crédit qui devait couvrir quelques mois de notre production, non seulement de nos machines mais aussi du carburant. Mais le carburant coûte cher. Pour le fioul lourd, sur les 12 cents, 8 à 9 cents sont consacrés au carburant. La production ne coûte que 3 cents. Vous comprenez le risque. En attendant que Madagascar Oil se mette en place, nous devions importer et on devait avoir cette lettre de crédit. Mais la Jirama n’a pas pu la produire. Nous avions deux solutions, soit partir, soit rester, et c’était la solution juste, sage et légitime. Comme la Jirama n’était pas en mesure de donner la lettre de crédit, nous avons réduit nos demandes de garantie, et enlevé la partie carburant. Tout cela figure dans le contrat, avec des calculs clairs réalisés par un cabinet indépendant. D’ailleurs, le contrat avec la Jirama est tout à fait transparent : il est disponible sur Internet. Propos recueillis par Lova Rabary-Rakotondravony.

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