Charlotte N'Diaye : « Le nombre de cas et de patients hospitalisés diminue » 


Charlotte N'Diaye, représentante de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à Madagascar depuis 2015, est une personne, actuellement, extrêmement occupée. Cette spécialiste en santé publique, particulièrement en épidémiologie tropicale, et ayant notamment fourbi ses armes au Cameroun où elle a eu à gérer une crise des réfugiés et une épidémie de choléra, enchaîne réunion sur réunion. Elle a accepté de répondre à nos questions entre deux rendez-vous. • Le pic épidémique a-t-il été atteint ? - Nous n'allons pas nous avancer sur cette assertion. Par contre, depuis la mise en place, le 10 octobre, au sein de la cellule de crise, d'une commission surveillance des cas notifiés et des contacts, nous voyons une diminution du nombre de cas et de patients hospitalisés. Le ministère de la Santé publique nous a communiqué, mardi, qu'il y avait dans tout Madagascar soixante-dix patients hospitalisés. Nous nous félicitons du travail qui est fait par les autorités malgaches. L'OMS, avec les autres partenaires comme l'Unicef, l'USaid, les différentes organisations non gouvernementales qui nous ont rejointes, la fédération internationale de la Croix rouge est là aussi, espère dans les semaines à venir observer une nette tendance à la diminution du nombre de cas notifiés. Et cela grâce aux efforts qui sont mis ensemble. Le gouvernement malgache travaille d'arrache-pied, selon une approche vraiment multisectorielle, autour du ministère de la santé et du BNGRC. • Dès lors, pourquoi autant de pessimisme perçu dans le regard notamment de certains respon­sables d'organismes interna- tionaux - La communauté internationale est inquiète parce que nous sommes en face d'une épidémie saisonnière qui, en général à Madagascar, dure de septembre à avril. Ce qui fait la difficulté aujourd'hui, c'est que la peste pulmonaire, lorsqu'elle rentre quelque part, se propage très rapidement puisqu'elle se transmet par voie respiratoire. • Ces responsables prédisent que le pire est devant nous ... - Nous allons nous baser, si vous le voulez bien, uniquement sur les faits. Nous avons posé toutes les interventions nécessaires à la prise en charge d'une épidémie de peste à Mada­gascar. Notre organisation a beaucoup appris de l'épidémie d'Ebola et nous pratiquons les leçons apprises. La meilleure leçon apprise sur Ebola est le suivi des contacts. Ces derniers sont recherchés pour être mis sous chimioprophylaxie, afin d'éviter qu'ils attrapent d'abord la maladie et qu'ils ne contaminent d'autres personnes. C'est ainsi que la chaîne de contamination peut être arrêtée. Nous suivons à l'heure actuelle, plus de quatre mille contacts. Il y en a plus de mille deux cents contacts qui sont sous chimioprophylaxie. Fenerive-Est, qui était un foyer, est sortie de l'épidémie. Cela fait deux semaines que Fenerive-Est n'a pas déclaré de cas confirmé. Nous ne disons pas que nous sommes sortis de la problématique mais nous disons que nous sommes sur une bonne voie. • Ils décrivent une « situation d'urgence permanente », du fait du système de santé malgache défaillant. - Il est certain qu'en matière de ressources, nous devrons continuer à renforcer les structures hospitalières, il faudra continuer à supporter Madagascar jusqu'à la fin de cette épidémie. Au niveau de la prise en charge, l'OMS appuie le ministère en terme de médicaments, de formation, d'abord pour que le personnel de santé soit mieux protégé et qu'il n'attrape pas la mala­die, mais également pour qu'il puisse dispenser des soins de qualité. Il nous plaît de rappeler que Madagascar a un nombre élevé d'experts. Il est vrai que ceci est dû au fait que le pays connaît le plus de cas de peste, notamment bubonique, au monde mais lorsque l'on a besoin d'expert dans le domaine de la prise en charge clinique, c'est souvent aux Malgaches que l'on fait appel. • Panique chez la communauté internationale ou excès de confiance des autorités malgaches Nous sommes coordonnés au plus haut niveau. Nous saluons l'implication du chef de l'État … • Jugée quelque peu tardive et insuffisante par une partie de l'opinion publique  … - J'ai constaté qu'en tant que chef d'une autorité, il laisse ses structures travailler. Il nous a laissé travailler, nous a interpellé, nous a demandé où on en était. Il a tenu à participer en personne à une réunion de la cellule de crise. Il est venu voir si les éléments de la réponse étaient bien en place. Je pense que c'est là le rôle d'une autorité. Dès les premières heures de cette épidémie, nous avons également étroitement travaillé avec le chef du gouvernement. Il n'est pas question aujourd'hui qu'on dise qu'on a bien travaillé et que l'on s'arrête. Nous devons redoubler d'effort. Il est question de renforcer les interventions qui sont mises en place. • Les acteurs de la lutte contre la peste expérimentent souvent au quotidien la réticence des malades face au dépistage. Et par rapport aux soins, la protestation des familles lors de l'enlèvement des corps. Pourquoi les messages de sensibilisation ont-ils du mal à passer  ? - Je voudrais rappeler que nous faisons face à une épidémie complexe. La peste est une maladie stigmatisante qui fait que souvent, une personne ayant contracté la maladie n'a pas envie d'être connue comme étant pesteuse. Le deuxième point important est que, en concertation avec les autorités, avec l'aide  des anthropologues et grâce à ce que l'on a appris d'Ebola et des autres fièvres hémorragiques graves, nous avons proposé un protocole qui permettrait au corps d'être complètement désinfecté, indemne des bacilles responsables de la peste afin de le retourner à la famille. Celle-ci pourra ainsi l'enterrer dignement, et j'insiste sur ce point. Une fois que ce protocole admis et effectué avec l'appui du bureau municipal d'hygiène et du ministère, nous pensons qu'il y aura moins de stigmatisation et moins de déni par rapport à cette maladie qui, encore une fois est guérissable à 100%. Aujourd'hui le nombre de patients guéris avoisine les sept cents. • La dernière polémique en date : les écoles. À fermer ou à ouvrir  ? - Le gouvernement a décidé d'ouvrir les écoles le 6 novembre et nous saluons cette décision. Nous avons proposé au gouvernement, afin de protéger les enfants, des mesures additionnelles. Nous pensons que l'école est le meilleur endroit pour un enfant de recevoir la bonne information pour les appliquer à la maison. Avec l'Unicef, nous allons former les instituteurs. Nous allons également fournir des intrants au niveau des écoles pour que, lorsque par malheur un enfant venait à présenter des signes évocateurs, il puisse tout de suite être pris en charge et orienté vers la structure  de santé la plus adéquate. • La peste sera-t-elle un jour éradiquée à Mada­gascar  ? - Nous espérons vraiment qu'au sortir de cette épidémie, le gouvernement et ses partenaires vont s'inscrire dans une dynamique de surveiller cette maladie pour mieux l'éliminer. Déjà je voudrais rappeler que depuis deux ans, nous avons accompagné le ministère de la Santé à mettre en place un système de surveillance épidémiologique utilisant les tablettes électroniques. Cela veut dire qu'en temps réel, toutes les autorités de la santé, du ministre aux techniciens, sont informés en cas d'alerte. Ce qui nous a surpris cette année par rapport à cette épidémie, c'est qu'elle a eu lieu dans une zone qui n'était pas répertoriée comme étant épidémique et elle a eu lieu très tôt. Mais cette expérience va amener le gouvernement à passer à l'échelle supérieure grâce à cette surveillance électronique et nous pouvons réitérer, en tant qu'organisation mondiale de la santé, notre appui au gouvernement malgache. Propos recueillis par Rondro Ramamonjisoa
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