Rigolade sinistre


Je ne suis jamais les «nouvelles» un peu fofolles dont Tana raffole. Et avec l’explosion de Facebook, le moindre fait divers prend des ampleurs dont on ne revient pas. Justement, c’est Facebook qui me notifie que mon nom est cité quelque part. Voilà près de 25 ans, j’avais décidé d’intituler ma chronique en malgache, «Mamalan-kira» : celui chante faux. De l’auto-dérision. Parce que je suis «fotsy feo», n’ayant aucun talent pour la chansonnette. Or, il se trouve donc que, dans l’actualité de ces derniers jours, un drame se serait joué dans un «karaoke» : un gars, qui chantait faux, s’est fait tabasser à mort par quatre autres clients à l’oreille susceptible. Aussitôt, les facebookiens s’en donnent à coeur joie pour tout tourner à la rigolade : longue queue au commissariat de police pour déposer une plainte de réserve avant d’entamer une soirée karaoke ; cours de chant accéléré pour ne pas risquer sa vie en karaoke ; et donc, conseil amical à celui qui se revendique «Mamalan-kira» de renoncer à aller en karaoke. Plutôt que de philosopher sur la dérive des moeurs (on a tous eu envie de balancer une bombe atomique pour faire taire un tapage nocturne, mais, de là à passer à l’acte) ou sur l’opportunité du concept même de «karaoke, surtout de nuit, alors que dans la journée, déjà, la ville est assourdissante de vacarme : marchands de baffles qui les envoient à fond de volume sur le trottoir, qui appartient à tout le monde, donc à personne ; aide-chauffeurs de taxibe qui hurlent continuellement la litanie des stations ; le voisin qui aime tellement ses cantiques qu’il faut qu’il en fasse profiter tout le quartier ; muezzin d’Ambatonakanga qui nous nargue de sa voix nasillarde, dans une langue incompréhensible, de trop longues minutes qui font toute la différence avec la subtilité discrète d’un angelus ; scooters et autres vraies motos pétaradant à échappement libre, même à côté d’un hôpital et en dépit des panneaux invitant au calme... Voilà bien comment sont les Gasy. Un humour corrosif, sans doute pour conjurer le mauvais sort d’un pays de tant de promesses mirifiques mais peuplé de mendiants. Une insoutenable légèreté pour nier le drame et oublier la tragédie. La thérapie par l’ironie mordante et un humour grinçant. Et toujours, me revient à l’esprit ce constat d’un coach français : partout ailleurs dans le monde, disait-il, quand un avant-centre rate la balle sur une reprise de volée, il se fait conspuer ; mais, à Mahamasina, s’étonnait-il, tout le monde se marre...
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