Michel SAINT-LOT - « Les enfants d’abord, la politique après »


Les droits des enfants sont bafoués à Madagascar. Michel Saint-Lot, nouveau représentant du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) crève l’abcès et fait appel à tout un chacun pour assumer ses responsabilités. Vous êtes à Madagascar depuis quelque temps, que pensez-vous des conditions des enfants? Je suis à ce poste, depuis presque un mois. La situation des enfants, je l’ai déjà connue, lorsque je suis venu à Madagascar en 2017. Je peux dire que le niveau de pauvreté que j’ai constaté lorsque j’ai visité le Sud, l’accès difficile à l’eau potable n’ont pas vraiment changé. Je dirais même que le niveau de couverture vaccinale à l’époque est peut-être meilleur qu’aujourd’hui car vous avez une population qui a presque doublé depuis lors. Selon vous, dans quel domaine les droits des enfants sont-ils les plus bafoués ? Il y a la protection de l’enfant quand il s’agit de la violence contre les enfants. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Plus de 40% des enfants sont victimes de violences corporelles, à la maison ou à l’école. Il y a le mariage précoce qui, pour moi, est une forme de violence. Cela empêche les adolescentes de grandir en tant que telles pour devenir normalement des femmes. Elles se trouvent souvent en train d’enfanter, alors qu’elles sont elles-mêmes des enfants. Leur droit à l’éducation est bafoué, elles n’ont plus la chance d’avoir une meilleure éducation et donc un travail mieux rémunéré. Dès lors, leur vie est limitée dans leur potentiel à l’âge de 13-14 ans. Et pour moi, cette forme de violence est inacceptable. Par rapport aux autres pays où vous avez travaillé, comment est la situation à Madagascar ? Je n’aime pas comparer un pays à un autre. Le problème que l’on a encore ici, est la malnutrition chronique. Un enfant sur deux souffre de malnutrition chronique. Concernant l’eau potable, Madagascar est le troisième dernier pays au monde où l’on a de grandes difficultés à y accéder. Près de la moitié de la population défèque à l’air libre. C’est autant de problèmes auxquels il faut faire face. En éducation, un enfant sur trois arrive au terme du cycle primaire. Et parmi ceux qui arrivent au collège, seul un sur trois finira le cycle et un sur dix obtiendra son baccalauréat. Bref, la santé, l’éducation, la protection de l’enfant, l’accès à l’eau potable, l’accès à l’assainissement, les violences physiques, sexuelles, morales, sont autant de domaines où l’on a beaucoup à faire à Madagascar. Selon vous, comment Madagascar est-il arrivé à cette situation? Je n’ai pas vécu ici, je ne connais pas les détails. Mais je peux dire qu’un pays qui a de telles richesses- car vous avez des richesses uniques, votre pays est beaucoup plus riche que la Corée, Taïwan, Singapour- a énormément de quoi soutenir une économie. Cela signifie que pendant toutes ces années, il y a eu un problème de gouvernance, de gestion des ressources naturelles. C’est un problème basé sur les ressources humaines, ce sont des problèmes de politique, de manque d’éducation aussi. La population qui n’est pas vraiment éduquée, ne sait pas comment réclamer ses droits. Une partie de la population va voter, mais est-elle seulement consciente de l’importance de son vote ? Est-elle consciente des programmes politiques qui lui sont présentés ? Comprend-elle ce qu’on lui présente, ou va-t-elle tout simplement voter parce que quelques jours avant le vote, elle a été amassée dans un stade où il y a eu de l’animation, de l’argent distribué. Je pense que demain, si on veut améliorer le sort de ce pays, cela doit passer par l’éducation qui est d’ailleurs un droit fondamental. D’après vous, le gouvernement n’a-t-il pas assez investi pour les enfants ? C’est toute la société qui n’est pas seulement le système politique, il y a aussi la société civile. Ont-ils investi pour le développement du pays ou seulement pour s’enrichir ? Les hommes politiques ont-ils pensé au pays ou ont-ils pensé aux intérêts individuels ? La presse, lorsqu’elle écrit, pense-t-elle uniquement à son patron, ou est-elle liée à un parti politique, ou fait-elle vraiment un travail digne de la presse ? Même les partenaires financiers internationaux ont-ils vraiment investi là où il fallait? Je pose la question à mes collègues de l’Unicef. On construit des écoles, mais les maîtres ne sont pas formés. On envoie des enfants dans une école où ils ne vont rien apprendre. Il vaux mieux commencer par former les maîtres, ensuite créer des infrastructures, ou faire les deux en même temps ? Mais disposons-nous d’assez de moyens pour améliorer la condition des enfants? Prenons l’exemple du Singapour. C’est un pays pauvre, Madagascar est riche naturellement. Il faut savoir faire les choix politiques et prendre les décisions politiques qu’il faut réaliser jusqu’au bout. Sur le plan financier, Madagascar est peut-être pauvre, mais vous avez des richesses naturelles. Maintenant il faut savoir si les investissements faits, les gains de ces richesses ont été utilisés à bon escient. Quels changements allez-vous apporter par rapport à ces problématiques ? Je ne peux pas changer Madagascar, mais en tant que représentant de l’Unicef, nous continuerons à appuyer l’État malgache, la société malgache dans leur effort, au moins, d’arriver aux objectifs du développement durable de 2030. Nous allons continuer à travailler dans le domaine de l’éducation, surtout dans le renforcement de la formation des professeurs, travailler sur le curriculum, s’assurer que l’enfant est capable d’aller à l’école et qu’il reste à l’école. Et pour ça, nous avons un programme avec le gouvernement, le transfert monétaire, pour que les familles pauvres aient un minimum de revenu afin qu’elles puissent garder les jeunes filles comme tous les enfants à l’école. Dans le domaine de l’eau potable, le grand Sud est l’une de nos priorités. Nous travaillons dans ce domaine dans six ou sept régions pour que la population ait un minimum d’accès à l’eau potable, si nous voulons lui assurer une bonne qualité de vie. Et dans les domaines de santé et de vaccination? On va continuer à travailler dans le domaine de la nutrition. Cette année, de janvier à juillet, huit mille enfants ont été admis dans des hôpitaux pour être traités à cause de la malnutrition aigüe. Pour nous, c’est huit mille enfants de trop. Nous continuerons à travailler dans le domaine de la nutrition, à intensifier notre support, à mettre à la portée des familles les micronutriments nécessaires. Nous poursuivons notre action dans le domaine de la santé. Là, il y a un effort de fait. Aujourd’hui, Madagascar a éliminé la poliomyélite. Il y a donc de bons résultats. Mais on veut continuer à renforcer la vaccination, pour s’assurer qu’un jour, on arrivera à un taux de couverture d’au moins 80%. Mais il faut surtout renforcer le système de santé, la formation des cadres, le support dans le domaine de la protection sociale. Nous allons travailler dans la mise en œuvre de la politique sociale, car une politique et une stratégie sont des éléments nécessaires, mais pas suffisants. La mise en œuvre est aussi importante. Et surtout il faut s’assurer que l’État malgache, dans son budget, prévoit ce qui est nécessaire pour la mise en application de ces stratégies et de ces plans d’action. Et si le gouvernement a d’autres priorités que les droits des enfants ? L’Unicef a été invité par l’État malgache, il ne s’est pas imposé. On nous a donné pour mission et comme mandat de faire entendre la voix des enfants avec le respect qu’il faut, et de s’assurer que le gouvernement, la société civile, la presse soient conscients de ce qu’il faut faire pour que les droits des enfants soient respectés. Ce capital humain est la seule chance de Madagascar, c’est l’avenir de Madagascar. Comment comptez-vous vous y prendre pour qu’il y ait plus de résultats dans vos interventions dans le Sud? Il y a eu des résultats dans le Sud. On a vu que le nombre des personnes qui ont accès à l’eau potable a augmenté, comme ceux qui utilisent les services sanitaires. On a vu la résilience des familles affectées par El Niño, on a vu qu’elles ont pu sortir de cette étape difficile qu’ils ont dû traverser. Mais on va continuer à les soutenir, parce qu’il y a des risques que cette population soit affectée par le manque de pluie, cette année, elle risque de passer des mois difficiles, des mois de soudure. Nous restons vigilants, pour nous assurer qu’avec nos partenaires tels que le Programme alimentaire mondial (Pam), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et, bien sûr, les ministères concernés, cette population puisse bénéficier de nos appuis. Nous allons continuer à appuyer le programme du gouvernement dans le Sud. Qu’est-ce que cela signifie? Nous sommes pour le moment, en train de compléter un pipeline qui approvisionnera quarante mille bénéficiaires dans un premier temps, et cent mille après. Je n’ai pas les chiffres exacts en tête, mais je sais que cette aide en eau potable dont on a grand besoin dans le Sud, devrait se terminer d’ici la fin de l’année.

Que les trente six candidats se rappellent que les enfants n’ont pas le droit de vote et qu’ils représentent 60% de la population malgache.

Avez-vous déjà eu des expériences en eau et en assainissement? J’étais chef de Programme hydraulique de l’Unicef au Mali et en Israël, dans des conditions plus difficiles que le Grand Sud de Madagascar. Ensuite, j’étais l’un des conseillers principaux de l’Unicef, au siège, en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène. J’ai été très impliqué dans ce domaine. Selon vous, il y a-t-il de l’espoir pour que la population du Sud accède enfin à l’eau potable ? Bien sûr qu’il y a de l’espoir. Madagascar est une île riche en eau. Maintenant, il faut voir quelles sont les solutions qu’il faut mettre en œuvre pour donner de l’eau à toute la population. Dans le Sud, il y a des zones où le taux de salinité est très élevé, ce qui signifie qu’on ne doit pas forcément y faire des forages, qu’il faut conduire de l’eau sur une plus grande distance. Il faut savoir investir. Il s’agit de choix politique, de choix financier. Ce qui est certain, c’est que l’analyse du secteur a montré, que pour chaque dollar investi dans l’eau, le retour sur l’investissement est de trois dollars. On ne peut que gagner, mais cela demande des capitaux initiaux élevés. Au niveau apport économique, sans accès à l’eau, l’économie de ce pays continuera à en pâtir, parce que le manque d’eau a un impact important sur la santé des familles. Un enfant qui n’a pas accès à de l’eau saine subit cinq ou six crises de diarrhée par an. Cela a des répercussions sur le budget de la santé. Comme il n’a pas un accès facile à l’eau, il passe sa journée à chercher de l’eau, cet enfant n’est donc pas scolarisé... Donc cet accès à l’eau a un impact énorme. Pourquoi l’Unicef sollicite-t-il l’engagement des entreprises dans la promotion des droits des enfants? Les entreprises ont une responsabilité sociétale. Elles engagent, elles paient des salaires et elles ont des produits qui ont des impacts sur la société et sur les enfants. L’engagement des entreprises se fait sur trois niveaux. S’assurer que l’entreprise ait un comportement social acceptable, que les familles soient payées, rémunérées de façon acceptable, pour subvenir à leurs besoins. De ce fait, que leurs enfants aient accès à l’eau, à l’assainissement et à une bonne nutrition. Deuxièmement que ces entreprises n’aient pas d’impact négatif sur la société malgache : pas d’enfants sur le marché du travail. S’assurer pour les entreprises touristiques que l’enfant n’ait pas été utilisé à des fins sexuelles. S’assurer que les produits qui finissent au marché n’aient pas d’impact négatif sur les enfants. S’assurer par la suite, que ces entreprises aussi, payent leurs taxes. elles doivent investir une partie de leurs gains dans leur responsabilité sociétale. Les entreprises ne peuvent que gagner. Plus une société malgache est éduquée, a une économie forte, plus cette société peut consommer, mieux ça vaut le coût pour une entreprise. Avez-vous d’autres messages à passer ? Mon message s’adresse plutôt aux trente six candidats qui sont en lice aujourd’hui, pour la course à la présidentielle, en demandant à chacun d’eux, quelle sorte de candidat il est. Qu’ils se rappellent, que les enfants n’ont pas le droit de vote, même s’ils représentent 60% de la population malgache. Ils représentent l’avenir de ce pays. Que tous ses droits doivent être au dessus de la mêlée politique.  
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