Dessine-moi un référendum


En guise de préambule, cet extrait d’une précédente Chronique du 31 octobre 2015 : «Il ne suffit pas de parachuter une Constitution pour décréter la civilisation. L’Angleterre est un exemple classique de constitution non-écrite qu’on cite à l’édification des étudiants de première année en droit. Avec la lingua franca anglaise, se sont également propagés les principes de l’Habeas Corpus (1679). Toujours aux mêmes étudiants en droit, on explique que Westminster est la mère de tous les Parlements. (Cependant) à quoi, sinon à la façade, peut servir une Constitution sur le modèle européen dans un pays qui continue de fonctionner sur le mode de la clientèle, des passe-droits et des règlements de comptes ?». Que ce soit pour un amendement constitutionnel ou en faveur d’un plébiscite personnel, j’ai toujours considéré l’exercice du référendum comme hautement suspect. Surtout dans une société comme peut l’être celle de Madagascar depuis la Loi-Cadre (1957), et, ou malgré, l’établissement de la République (votée par le Congrès des Assemblées provinciales réuni le 14 octobre 1958 dans l’amphithéâtre du Lycée Gallieni, à Antananarivo : 26 abstentions, 208 voix pour la République, concept inédit et encore inconnu en 1895, sans qu’entretemps, une seule fois en 60 ans, une éducation à la hauteur de cet enjeu existentiel ait été entreprise). Voilà une société où la fiction démocratique voudrait que les descendants des anciens seigneurs féodaux soient ramenés au niveau des descendants d’anciens esclaves quand bien même dans la réalité les «ankizy», «sauterelles gardiennes des tombeaux» sur le terroir, continuent de dépendre et de s’en remettre aux anciens maîtres «montés» à la ville. Hippolyte Laroche, dernier Résident Général de la France à Madagascar (1895-1896) auquel allait rapidement succéder le Gouverneur Général Joseph Gallieni (1896-1905), s’est grossièrement trompé en croyant abolir l’esclavage d’une signature d’arrêté en août 1896. Cent vingt ans après, en Imerina comme dans les autres sociétés malgaches à castes (ou «groupes statutaires»), la vivacité culturelle du phénomène n’est pas que mémorielle : elle demeure quotidienne, vécue, enracinée, appropriée et transmise. L’autre réalité, induite de la précédente, est l’extrême inégalité dans la culture, l’éducation et l’instruction. Nombre des descendants de seigneurs sont capables de comprendre le concept de représentation démocratique et parlementaire tandis que la plupart des descendants d’esclaves n’ont jamais cessé de personnaliser le pouvoir et l’autorité en une figure tutélaire. Malheureusement, dans la fiction démocratique, que peut bien peser le sens critique d’une poignée de lettrés contre le raz-de-marée démographique d’une population que le système maintient dans son état d’arriération d’avant 1896 ? Le référendum du 28 septembre 1958 avait ceci de particulier que la question fut relativement simple : voter OUI pour le maintien dans la Communauté française ; voter NON pour l’indépendance immédiate (51% de NON dans la province d’Antananarivo, 62% de NON dans la Capitale). Suivirent le référendum du 8 octobre 1972 (96% de OUI), le référendum du 21 décembre 1975 (94% de OUI), le référendum du 19 août 1992 (72% de OUI), le référendum du 17 septembre 1995 (63% de OUI), le référendum du 15 mars 1998 (50,98% de OUI), le référendum du 4 avril 2007 (75% de OUI). Le référendum du 17 novembre 2010 (74% de OUI), que tout le monde qualifia d’illégal, convoqué par un pouvoir de facto en dehors du processus de concertation, et qui introduisit des dispositions plus ou moins heureuses : abaissement de 40 à 35 ans de l’âge minimum d’éligibilité, invention du folklorique titre de «chef de l’opposition», création d’un conseil du «fampihavanana», modification de la devise «liberté» laissant place à «amour»... À considérér la fréquence, formidable, de cet «exercice éminemment démocratique», comme nous l’ont enseigné nos profs de droit, Madagascar figurerait en bonne place parmi les démocraties authentiques. Sauf que chaque référendum s’est déroulé dans les conditions sociales, culturelles, intellectuelles, dramatiquement déficitaires, évoquées plus haut. Et l’amenuisement relatif des scores précédemment staliniens ne doit pas non plus faire illusion : s’il est de plus en plus difficile de trafiquer le choix urbain, le gros des électeurs se constitue encore de paysans peu instruits et mal informés en amont, et dont on confisque plus facilement le vote en aval. Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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