Futilité et utilité, un 26 juin


En cette année 2018, la célébration du 26 juin aura été précédée d’une démonstration de l’armée malgache avec force déploiement de ses pauvres moyens. Qu’avons-nous, chaque année, à dépoussiérer nos vieux tacots ; décaper l’épaisse couche de peinture qui dissimule la rouille de nos blindés BRDM ; exhiber de vieux coucous Alouette modèle 1955 que l’armée française utilisa lors de la guerre d’Algérie avant de les remiser à la fin des années 1990. Aux États-Unis, première puissance militaire mondiale, aucun défilé miilitaire ne s’est tenu à Washington depuis 1991. Le 11 novembre 2018, une grande parade, rendant hommage à toute l’histoire militaire américaine, réunira entre la Maison-Blanche et le Capitole les appareils les plus modernes et d’autres plus anciens, déjà historiques. Personne n’en sourira. Tout le monde sait que l’arsenal militaire américain n’a rien d’un musée vivant et que, contrairement à d’autres pays, cette exhumation ne relève pas de l’archéologie militaire. Retour sur une ancienne Chronique de juin 2013. Nous avons si mal combattu contre le corps expédition­naire français de 1894-1895, ce qui nous valut la capitulation du 30 septembre 1895. Nous avons si peu combattu pour l’indépendance octroyée de 1959-1960. Pourquoi, dès lors, limiter la célébration de la Fête Nationale à sa seule manifestation guerrière surtout qu’au vu du matériel que déploie l’armée malgache, sachant ses problèmes structurels de pyramide inversée – une grosse tête d’innombrables généraux, un goitre d’officiers supérieurs piaffant d’impatience, un gros ventre de capitaines et des troupes qui ne font pas l’effectif d’une grosse division de la seconde guerre mondiale, il est raisonnable d’avoir quelques doutes quant à sa capacité à défendre le territoire national, ses 585.000 km2 et ses 5000 km de côtes. La Bible pour lecture, une parade militaire pour « Leisure ». Je caricature à peine le Malgache de base de ces années 2000. Il m’est tout aussi difficile de comprendre la multiplication des lieux de culte improvisés (dans des salles de classe, dans des salles de cinéma) et la prolifération des sectes que la motivation de ceux qui viennent chaque année en masse, et malgré les errements militaires de 2009, assister au défilé militaire de Mahamasina. Les vieilles orgues de Staline, les motos de la police de la circulation, les chiens de la brigade canine, les petites embarcations censées contrarier la piraterie de haute mer, les aéronefs symboliques d’une armée de l’air qui vient de lancer un avis de recrutement : rien de bien exaltant. Quand on n’a pas la capacité militaire de l’US Army, de l’Armée Rouge, de l’armée chinoise, de Tsahal ou de la Bundeswehr, il est certes difficile d’impressionner. Les plus sceptiques jetteront un œil goguenard au budget pour l’honneur, s’amuseront à spéculer sur la quantité simplement de munitions et nourriront de doutes éternels quant à la formation même, initiale et permanente, des hommes. Les autorités devraient éduquer la foule d’un 26 juin quand les démagogues se contentent d’endoctriner la foule du 13 mai. Ce n’est pas tous les jours que grands et petits accourent aussi spontanément et aussi massivement et cette occasion doit être mise à profit pour passer les messages essentiels d’une éducation civique à double usage : d’une part, transmettre les valeurs profondes de la civilisation héritées des Anciens ; d’autre part, constituer le socle le plus large possible d’un minimum de choses en partage parmi les contemporains. Enseigner, par exemple, que la Défense nationale n’est pas exclusivement militaire et que c’est faute d’une implication de la population que l’avancée française fut aussi facile en 1894 et 1895. Rappeler, entre autres, qu’il s’agit d’un retour à l’indépendance pour un pays qui fut reconnu par les principales puissances du 19ème siècle. Insister sur ces valeurs qui ont fait nos grands hommes du passé et écrit l’originalité de notre histoire : que le dialogue est primordial, que la critique fait partie du processus de décision, que la parole donnée est un acte social fort. L’exemple de cette posture ne peut venir que d’en haut, et c’est cette exemplarité qui fait aujourd’hui si cruellement défaut à Madagascar.
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