Deuil poids, démesure


Il le mérite peut-être amplement. Pour tout ce qu'il a fait pour le pays dont il était l'ambassadeur avec comme seules lettres d'accréditation son accordéon, Régis Gizavo vaut bien un deuil national pour la journée du 27 juillet et des funérailles nationales. Ainsi en a décidé le gouvernement en conseil des ministres. Une grande première pour un personnage du monde artistique. Regis Gizavo, «l'homme qui fait parler un accordéon» comme le qualifie la chronique culturelle internationale, a réussi le travail qu'auraient dû faire toutes les chancelleries malgaches à l'étranger. Il a su se faire une place au soleil dans le monde culturel tout en donnant un rayonnement international à son pays mieux connu a l'étranger pour sa pauvreté, la corruption, l'insécurité, et les coups d'État. Un rôle qu'il a tenu avec la discrétion d'un diplomate, le talent d'un virtuose où la musique efface les paroles. Regis Gizavo fait partie des «olomangam-pirenena» que l'on regrettera et qu'on aura du mal à remplacer. Pièce unique en son genre, on n'aura que de pâles copies qui ne seront jamais conformes à l'original. Il en est ainsi du savant Ratsimamanga, du poète Rado, du flûtiste Rakoto Frah, du vahiliste Rakotozafy, spécimen disparus avec leur talent sans laisser d'héritiers. Ils n'ont même pas eu la chance de mériter les hommages de la Nation à travers un deuil ou des funérailles nationales. Les régimes de l'époque n'ont visiblement pas réalisé la portée des recherches du professeur Ratsimamanga qui ont profité au monde entier, des enseignements et des leçons de vie véhiculés par les poèmes du géant Rado, du rayonnement international du pays à travers le tour du monde de Rakoto Frah. Pire, le pouvoir a complètement occulté, l'année dernière, la mort de Jean Louis Ravelomanantsoa, le plus grand sportif malgache de tous les temps, l'homme le plus rapide du monde qui a tutoyé les plus grands sprinters mondiaux, le premier finaliste olympique auquel l'Australie a consacré un timbre-poste. L'État a envoyé une petite délégation pour lui remettre le grade d'officier de l'ordre national. Une humiliation et une insulte pour celui qui avait fait, à son époque, l'unanimité de la presse internationale. Tout autant que Regis Gizavo, Jean Louis Ravelomanantsoa aurait dû mériter des funérailles nationales. C'est justement parce qu'après sa retraite, les pouvoirs successifs n'ont pas su conserver et mettre en évidence les exploits de Jean Louis Ravelomanantsoa qu'on en finit par les oublier, dilués par le temps, enfouis dans les mémoires. En plus, il n'avait ni député pour plaider sa cause, ni association de natifs pour réclamer ce que la Nation lui devait en conseil des ministres. C'est dommage que, jusqu'à maintenant, l'État n'ait pas pensé immortaliser leurs noms pour l'histoire et la génération future à travers des édifices ou des rues. Au lieu de rue de Russie, place Ho Chi Min, place Roxy, camp Fort Duschesne, Fort Voyron... il est temps de malgachiser le nom des places historiques. Ce ne sont pas les héros qui manquent. Reste à savoir quels critères, quels parcours on doit justifier pour mériter ce que les Américains accordent volontiers à leurs vedettes du sport et des arts au Hall of fame tout comme les Français en font de leurs héros au musée Grevin. Les Anglais anoblissent tout simplement ceux qui font honneur au pays comme les Beatles, Kevin Keegan ou Alex Ferguson. La reconnaissance ne coûte pas une fortune, encore moins une inscription à la loi des finances. C'est une question d'intelligence et d'encouragement aux compatriotes pour rappeler qu'ils valent quelque chose et que l'ingratitude et surtout l'ignorance ne font pas bon ménage avec la bonne gouvernance. Sylvain Ranjalahy
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