Le prétexte Antoine


«Antoine, Gérant responsable». C’était ce qu’il avait mis sur sa carte de visite. Antoine tout court. «Spécialités chinoises». Ses arrières-grands-parents étaient encore Chinois, de cette vague partie de la région de Canton, pour s’établir définitivement à Madagascar, à l’articulation des XIXe et XXe siècles. Depuis, avec des fortunes diverses, ils sont devenus les «Sinoa», des «taloha» (anciens) voire «gasy» (malgaches/malgachisés). Pas des «vaovao», les nouveaux, originaires du Nord de la Chine, qui sont arrivés nombreux dans les années 1990 et avec lesquels le mode opératoire reste compliqué : communication minimale avec ceux qui ne parlent ni malgache, ni français... ni cantonais. Dans le «Madagascar aujourd’hui» de Sennen Andriamirado, j’ai retenu cette photo (datant de 1978), d’un groupe de jeunes garçons, Malgaches et Chinois, défilant dans leur uniforme d’école : deux élèves chinois arborent fièrement la casquette frappée de l’étoile rouge. La légende disait ceci : «Sur toute la Côte Est, des communautés chinoises se sont parfaitement intégrées aux populations locales» (page 71). Il s’agit de cette famille modeste vendant des journaux, au milieu d’un beau bric-à-brac, à Salazamay ; de cette épicerie dans la rue principale de Vatomandry (mortadelle, pigeonneau, tsa-siou, pao, saucisse chinoise, saucisson) ; de ces deux restaurants de Moramanga pour lesquels on fait volontiers le déplacement depuis Antananarivo... Radio Chine internationale s’était intéressée (19 juin 2014) au Cercle chinois de Fianarantsoa, créé en 1949 dans la propriété de Chan Kai. Son petit-fils, Chan Ju Yan (Chen Chu Ren) raconte y avoir commencé ses études en 1960, les avoir continuées à Hongkong en 1966, avant son retour en 1973, avant de devenir directeur de l’école chinoise de Fianarantsoa, en 1978. Cette école, fière d’avoir participé au maintien de la langue chinoise, sous le parrainage du Gouvernement de Taïwan à ses débuts, collabore depuis 2010 avec l’Institut Confucius, centre culturel de la Chine continentale. Dans un article assez récent, 2009, sur la communauté chinoise tananarivienne, Catherine Fournet-Guérin émet un certain nombre de conclu­sions que je ramasse en une sorte de synthèse audacieuse: «profond ancrage urbain par l’enterrement au cimetière municipal, absence de concentration résidentielle mais présence diffuse dans la plupart des quartiers, pratiques religieuses similaires à celles de la population malgache» ; «la minorité chinoise est une minorité étrangère, certes, mais la moins étrangère de toutes celles présentes à Madagascar» ; «stratégie de promotion sociale très efficace par la scolarisation en français», «réseaux transnationaux d’envergure mondiale» ; «multilinguisme frappant, identités nationales multiples, plusieurs espaces identitaires de référence» ; «Tamatave polarise de nombreuses références identitaires pour les Chinois de Tananarive» ; les «représentations que les anciens Chinois ont d’eux-mêmes, celles qu’ils ont des nouveaux Chinois, et les discours ambigus dont ils font l’objet de la part des Malgaches, sont bien révélateurs du très fort cloisonnement social au sein de la société tananarivienne» (in Catherine Fournet-Guérin, «Les Chinois de Tananarive (Madagascar) : une minorité citadine inscrite dans des réseaux multiples à toutes les échelles», Annales de Géographie, 5/2009 (n°669), pp.543-565). Cette visibilité «sinoa», familière et bienveillante, s’inscrit dans un paysage devenu mémoire et nostalgie. L’école chinoise de Soavinandriana, fermée depuis des décennies, mais que de récents travaux vont peut-être rouvrir. L’association «Chine-Madagascar» de Behoririka. Les nombreuses tables (Jonquille, Panasia, Minou, etc.) qui sont autant de rendez-vous pour goûter inlassablement à cet autre plat national malgache méconnu, la «soupe chinoise façon Tamatave». Une «chronique libre de publicité» existait dans l’ancienne revue «Jureco». Il s’agissait pour les bons vivants de la rédaction de célébrer une table, ou de médire joyeusement dans une publication à diffusion confidentielle. Catherine Fournet-Guérin cite trois restaurants chinois emblématiques d’une certaine époque : «La Muraille de Chine», «Le Grand Orient», «Le Jasmin» et émet ce commentaire :  «noms très standardisés que l’on retrouve de manière significative en France». D’anciens restaurants aux «noms très standardisés», vietnamiens ceux-là, partie intégrante du paysage de mon enfance, ont depuis disparu : «Kim Long», à Ambodifilao ; «Étoile du Nord» à Mahamasina ; «Le Petit Nord» à Ambatonakanga. Avec le départ d’Antoine, son fondateur, fasse que «Le Jasmin» continue de faire repère d’une certaine Antananarivo. Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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