Les commerçants malgaches victimes d’élitisme


«L’on justifie le rejet des demandes de naturalisation des commerçants tananariviens avec des formules stéréotypées du genre : le sujet n’a rien d’exceptionnel, ne se distingue en rien de la masse des indigènes… », résume Faranirina V. Esoavelomandroso dans son étude sur les Commerçants malgaches de nationalité française à Tananarive (de 1910 aux années 1930), parue dans la revue Omaly sy Anio (janvier-juin 1982). Il y a également des raisons plus particulières, très précises, comme la jeunesse, la violence…, toutes invoquées, en fait, dans « l’optique d’une politique d’élitisme à outrance » pour limiter la naturalisation en général. Bref, il faut donner des réponses satisfaisantes à la dizaine de questions qui cernent « la vie privée du postulant » (réputation, conduite privée, habitudes de société ou de tempérance, probité commerciale, état de ses affaires s’il est commerçant). Selon l’historienne, au début des années 30, ce renseignement prend toute son importance. S’il n’y a, en effet, qu’une dizaine de commerçants tananariviens naturalisés entre 1920 et 1925- c’est la période de prospérité et d’augmentation du nombre des Malgaches qui se livrent au commerce- on enregistre une trentaine, sinon plus, de 1931 à 1933, bien que ce soit une période de crise. Citant Prunières, Madagascar et la crise, l’auteure rappelle que ces trois années coïncident, en gros, avec la seconde crise dans l’ile, «phase la plus intéressante, les affaires se réadaptent ou meurent ». On assiste alors à « l’épuration » du commerce local avec environ 500 faillites. Faranirina Esoavelomandroso pense alors que, parallèlement à une relative libéralisation de l’accession à la citoyenneté française, les autorités essayent de canaliser les revendications nationales après mai 1929. Car comme Jules Ranaivo écrit dans un journal non publié, « les commerçants de la capitale sont parmi les leaders de la manifestation de rue ». « Le pouvoir colonial admet au droit de cité les commerçants qui, ayant réussi à passer le cap difficile des années 1928-1932, ont prouvé leur sens des affaires et la stabilité de leur situation sociale. Ceux-là appartiennent à la bonne bourgeoisie locale. De fait, le conseil d’administration écarte les dossiers de commerçants ayant fait faillite ou pas assez fortunés, surtout si la qualité des relations familiales ne vient même pas compenser la médiocrité des ressources », ajoute de son côté l’historienne. Les « commerçants naturalisés » apparaissent ainsi comme l’une des composantes majeures de la bourgeoisie urbaine malgache, à côté d’autres commerçants indigènes, de quelques propriétaires-rentiers, de fonctionnaires (médecins libres, clercs de notaires), d’entrepreneurs, car il arrive que le marchand se fasse aussi entrepreneur et à Antananarivo, certains entrepreneurs obtiennent des marchés pour des travaux à effectuer pour le compte de la commune. Les différences de niveaux de fortune ou de genre de vie, la formation reçue, le statut dans la société coloniale multiplient les lignes de clivage au sein de cette bourgeoisie tananarivienne, « qui se démarque du monde des petits artisans, des domestiques, des journaliers et manœuvres attirés par les grands travaux ». Et la diversité de cette bourgeoisie est sensible, même au niveau du groupe restreint des commerçants naturalisés. En effet, « jouissant d’un même statut dans le système colonial, les Malgaches citoyens français forment aussi, par certains aspects, un groupe disparate ». Au moment de leur naturalisation, la moyenne d’âge des commerçants se situe autour de 35-45 ans. Mais à cause de la rupture de 1896, on distingue différentes générations sur le plan de la formation et du niveau de l’instruction, critère important pour accéder à la citoyenneté française. Les plus nombreux (40-50 ans) ont tous poursuivi des études régulières dans l’une ou l’autre des établissements confessionnels de la capitale, notamment ceux des Frères des Écoles chrétiennes, de la London Missionary Society et de la Friends Foreign Mission Association. Ce qui soulève la question de l’orientation de l’enseignement dispensé dans ces écoles et celle de leur envergure. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
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