La grande déception des élites malgaches


«C’est dans les villes que les valeurs de civilisation occidentale touchent le plus la population autochtone, c’est-à-dire une minorité de citadins malgaches » (lire précédente Note). Centre commercial, comme l’affirme l’ Histoire de Madagascar réservée aux classes terminales (1967), la ville est un foyer de l’élégance et de la mode, qui a beaucoup contribué à répandre des produits de la civilisation occidentale. Le costume européen progresse parmi les populations urbaines, tandis que les paysans adoptent un vêtement intermédiaire. Ainsi, les femmes portent de plus en plus la robe, les hommes une chemise longue. « Le goût des couleurs chatoyantes ajoute au pittoresque des silhouettes.» Les produits de la friperie inondent tous les marchés, d’autant que leur commerce procure des bénéfices substantiels aux revendeurs. Certes, la rabane et les nattes habillent encore beaucoup de Malgaches dans la campagne et dans la forêt, mais sur les Hautes-terres et dans quelques centres littoraux, les populations locales évoluent plus rapidement. Foyer du christianisme également, car cette religion se développe surtout dans les agglomérations des Hautes-terres et quel­ques centres des régions littorales où les bâtiments des Missions, églises, écoles, dispensaires et même hôpitaux, sont nombreux. Vers 1929, les chrétiens se comptent pour un total de 900 000 âmes environ, soit 400 000 protestants, 500 000 catholiques, ou près du quart de la population de l’ile. « C’est dire que le christianisme progresse à partir des villes, mais il s’implante moins profondément alors qu’il s’éloigne des centres urbains. » En outre, les missionnaires qui parlent la langue du pays, ont souvent une « influence notable »: « De plus en plus nombreux, les Malgaches accèdent au sacerdoce et renforcent l’action évangélique. » La ville est aussi un foyer de développement culturel français. La langue française est le support de l’enseignement. Celui-ci donne une large place au calcul, à l’élocution, à la rédaction. En dehors de ces notions pratiques, l’enseignement de la culture tient assez peu de place et, de surcroit, les ouvrages européens sont « muets» sur les êtres et les choses de la Grande ile. « Les Écoles régionales, deuxième degré, envoient leurs meilleurs élèves dans la capitale où ils entrent dans l’une des sections de l’École primaire supérieure unique. » Car l’enseignement secondaire est pratiquement fermé à la jeunesse autochtone. Cette élite locale, peu nombreuse, avide d’apprendre, découvre avec l’humanisme, le sens de la liberté, l’existence des droits de l’homme, la notion de citoyenneté. Pendant cette période (1905-1939), l’œuvre des enseignants, français ou malgaches, laïcs ou religieux, a des conséquences considérables. En effet, ceux qui bénéficient de cet enseignement se rendent compte de l’inégalité foncière entre le colon et le colonisé. Et selon les auteurs de l’ouvrage d’histoire, c’est dans le contexte de cette situation coloniale qu’il faut étudier, avec l’évolution des évènements, la prise de conscience du nationalisme malgache. « La période 1905-1939 consacre l’échec de ce qu’on pu appeler la politique d’assimilation à Madagascar. » À la veille de la seconde guerre mondiale, il n’y a que 8 000 citoyens français d’origine malgache dans la Grande ile. Le sentiment « d’appartenance à un autre monde » nait de cette sujétion et se fortifie dans l’infortune, le malheur. Le refus de l’égalité des droits ressuscite, à la fin de cette période, le vieux rêve de liberté et d’indépendance. Les auteurs rappellent la Vy-Vato-Sakelika (VVS) « découverte » en 1915, en pleine guerre mondiale ; le mouvement Jean Ralaimongo, ancien soldat malgache mobilisé pendant ce conflit mondial, dont la lutte est renforcée par Paul Dussac puis le Dr Joseph Ravoahangy… Mais tout cela est vain, à cause de l’attitude des autorités coloniales qui ignorent sciemment l’appel des manifestants. Au contraire, les leaders du mouvement sont emprisonnés. Une évolution se produit alors. « L’impul­sion de la génération VVS conduit insensiblement les partisans de l’assimilation vers un nationalisme plus accessible à la masse populaire. » On parle désormais des « aspirations du peuple » à Madagascar. Après 1936, la Colonie connait l’atmosphère des évènements qui se déroulent dans la Métropole. Le Front populaire libère les condamnés de 1929, accorde aux Malgaches la liberté syndicale et la liberté de la presse. « Le retour des cendres de Ranavalona III en 1938, leur permet de manifester leur patriotisme et leur foi en leur destin.»
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