La mort de l’art : Une autre forme de déclin


L’anecdote remonte à 2015 : pour la sortie de la chanson Only One, Kanye West a été encensé par ses jeunes admirateurs pour avoir fait sortir de l’ombre et lancer la carrière d’un vieux chanteur talentueux qui, toute sa vie, selon le sens des tweets postés par les fans du rappeur, est resté loin des lumières des projecteurs dont l’éclairage aurait pourtant été mérité. Son talent indéniable aurait alors été jeté aux oubliettes de l’histoire musicale sans le coup de pouce de Kanye West. L’histoire de la découverte de ce vieux débutant, trop beau pour être vrai, a fait sortir les violons chez certains jeunes. Elle aurait ému n’importe qui si le débutant en question ne s’appelait pas… Paul McCartney. Et dire qu’une recherche sur le net aurait permis, en à peine quelques secondes, de dévoiler, d’étaler les dimensions non négligeables de la place occupée par Paul McCartney dans la longue histoire de la musique. Sans manquer de respect à Kanye West qui est, j’en conviens, une grosse pointure de la musique contemporaine et une icône du rap, ses six albums font pâle figure à côté de la quarantaine de la légende vivante, ex leader des Beatles : Paul McCartney. Cette méprise, qui nous fait rire jaune, est tout simplement un indicateur non flatteur d’une génération frappée d’une inculture de masse. Si pour une génération d’Américains, les Beatles, pourtant le nec plus ultra des groupes pop du XXe siècle, n’ont pu se faire une place dans leur culture musicale, se poser des questions sur l’étendue de cette culture musicale est tout sauf incongru. Ce cas, qui a fait les choux gras de quelques médias, n’est évidemment pas isolé : Madagascar, par exemple, se présente comme un excellent échantillon pour l’analyse. Chez nous, on a du mal à résister aux vagues qui déferlent, vagues enclenchées par les covers (un anglicisme qui a plus de classe que le terme « reprise ») et les plagiats. Transportés par ces houles, les meilleurs copieurs sont, par le filtre de la paresse intellectuelle, les génies des temps modernes. Car amener le public à croire (d’accord, souvent malgré l’artiste qui veut rendre hommage à un aîné dont il reprend une des créations) que l’œuvre piquée appartient à l’artiste contemporain qui ne fait que reprendre c’est, aujourd’hui hélas, faire preuve de génie : la mort de l’inspiration, de la créativité et de l’originalité a aussi emporté avec lui l’essence de l’art, un mot qu’on continue à exploiter mais qui a perdu tout son sens. L’œuvre reprise a certes une nouvelle vie ; elle redevient même, des décennies après sa sortie, tendance mais l’inculture efface de l’actualité l’identité de l’artiste (le véritable artiste) d’origine. La renaissance a un prix : L’œuvre doit-elle acheter son second souffle par la phase œdipienne du meurtre du père ? Dans le roman Le Nom de la rose (U. Eco, 1980), pour répondre à une affirmation sur la perte des enseignements des anciens considérés comme les géants d’une époque révolue, le héros Guillaume de Baskerville dit : « Nous sommes des nains, mais des nains juchés sur les épaules de ces géants ». Notre petitesse comparée à la grandeur de ceux qui ont écrit, par leur originalité et leur créativité, des pages de l’histoire musicale, est démontrée par la sollicitation sans fin de l’appui des œuvres de ces derniers. Mais dans le même livre sus-cité, Baskerville continue avec une phrase à méditer : « et même si nous sommes petits, parfois nous réussissons à voir plus loin qu'eux ». On est censé avoir une perspective plus large que celle de nos aînés, mais à quoi bon, quand l’inspiration propre aux génies fait défaut ? Dans Le déclin de l’Occident (1918), Oswald Spangler voyait en la future mort de l’art occidental une étape à passer avant la ruine irrémédiable. Sommes-nous, à l’exemple du domaine de la chanson, dans cette phase annonciatrice (ou ce symptôme ?) du déclin ? par Fenitra Ratefiarivony
Plus récente Plus ancienne