Un oubli aux grandes conséquences


«On parle souvent des Tantara ny Andriana. À quand les Tantaran’ny Andevo?», s’exclame un jour, un participant du séminaire initié par le Pr G. Condominas. C’est en 1977, au département d’Histoire de l’Université de Madagascar, sur le thème « Traditions orales et histoire». La question à peine posée, suivie d’un exposé de Jean François Rabedimy sur la traite à Mada­gascar, que Bakoly Domenichini-Ramiaramanana et Jean-Pierre Domenichini abordent « Les aspects de l’esclavage sous la monarchie merina d’après les textes législatifs et réglementaires », au séminaire de l’École des Hautes études en Sciences sociales. Séminaire qui se penche sur la problématique concernant la valeur documentaire des différents types de sources utilisées généralement par les chercheurs. C’est ainsi que sont évoquées les « conceptions erronées » forgées sur l’esclavage des faits appréhendés à travers « la médiation de la langue et de la culture françaises ». Car, par exemple, « ni Cahuzac, ni Gamon, ni Thébaut ne savaient le malgache et le niveau des connaissances de Julien apparait clairement dès qu’il travaille hors de Mada­gascar sans l’assistance de collaborateurs malgaches ». Cahuzac et Gamon appartiennent à la première génération des magistrats qui étudient le droit malgache, tandis qu’Eugène Thébaut est de la dernière génération de l’époque coloniale. Et des erreurs de traduction commises ou laissées commettre, « il a résulté des contresens en cascade dont les conséquences sont difficiles à mesurer ». Le couple Domenichini cite le fait que, pour avoir oublié que l’esclave est un bien, beaucoup omettent de le compter au nombre des biens saisis par décision de justice. Mais aussi que le captif, « babo », ne devient pas automatiquement esclave et que le « babo » n’est pas forcément un prisonnier de guerre. Les auteurs de l’étude rappellent qu’au cours des guerres du XIXe siècle, beaucoup d’hommes sont faits prisonniers (« babo »). Mais tous ne deviennent pas esclaves (« babo ») en Imerina. La plupart sont libérés sur place sitôt versée la piastre d’allégeance par laquelle ils reconnaissent la souveraineté du roi ou de la reine de Madagascar. En outre, les captifs de haut rang qui sont conduits à Antananarivo, y sont le plus souvent des « otages » (« babo ») car ils peuvent par la suite retrouver leur pays, à l’instar des princes d’Ikongo et leur famille qui rejoignent le pays tanala sous Radama II. Quant aux populations vaincues et déportées en Imerina pour le compte du souverain, elles ne sont pas « véritablement » asservies et, insérées dans le groupe des Tsiarondahy, elles ne voient même plus planer sur elles la menace de la traite depuis les accords de Radama Ier. Peut être également « babo », poursuit le couple Domenichini, l’esclave dont le maitre est mort du « tanguin » et dont les biens sont, de ce fait, « baboina » ou saisis. Ou encore, jusqu’à l’instauration des nouveaux marchés, « tsena », à la place des « fihaonana», est « babo » toute personne victime d’un rapt que les parents, s’ils la voient mise en vente dans un « fihaonana », peut alors racheter. Les deux auteurs de l’étude mentionnent alors qu’un tel oubli empêche les traducteurs de comprendre le sens large du mot « kapy » dans les « Tantara » de Callet, dont il est question dans un texte qui rappelle « les circonstances dans lesquelles furent définies les lourdes peines sanctionnant leur non-livraison » ; et la différence entre les mots « very » et « amidy » qui apparaissent souvent dans les Tantara… et les édits des souverains successifs. Le mot « kapy » est absent du « Dictionnaire malgache-français des pères Abinal et Malzac », mais on peut lire dans l’ « Index de certains mots et expressions du père Callet », qu’il s’agit « d’esclaves pris sur l’ennemi qui n’avaient pas encore été adjugés à un maitre ». Selon les auteurs de l’étude, cette définition s’inspire d’un passage de ce texte où l’on lit : « Ny atao kapy : ny babo tsy mbola manana tompo ka miankina amy ny lehibe afeni’ny ». Embarrassés, les auteurs de la traduction donnent : « On désigne par le nom kapy le butin qui n’est pas encore affecté à un maitre, les esclaves qui sont encore aux mains des grands et qu’ils cachent. » Mais exactement, précise le couple Domenichini, cela se traduirait comme : « Ceux dont on fait des kapy, sont les babo qui, n’ayant pas encore de maitre, demeurent dans la dépendance des grands, tenus cachés par ceux-ci. » Ceci, indique-t-il, relié avec l’histoire de l’origine des Manendy d’Anosi­vola, Anativolo et Antaramana (Rainitovo, « Antananarivo fahizay ») aboutit à la question totalement négligée jusqu’ici du bannissement et de l’existence de groupes plus ou moins définitivement hors-Fanjakana, vivant en marge des Fanjakana organisés. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
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