Le sous-développement, voilà la vraie insulte


Je ne me sens pas atteint par une insulte qui ne me concerne pas. Sauf qu’on a accolé à mon île des qualifi­catifs toujours plus péjoratifs à mesure que l’on s’éloignait de la fin de la deuxième guerre mondiale et que, contraire­ment à des pays authentiquement décimés par la guerre, l’Allemagne ou le Japon, voire la Corée du Sud, Madagascar a emprunté une trajectoire inverse. Le «pays d’avenir» s’est enfoncé de plus en plus profondément dans le «Tiers-monde», expression inventée par Alfred Sauvy en 1952. L’abandon de ce vocable n’a pas changé la situation de Madagascar. Les écoles, les hôpitaux, les routes, l’habitat campagnard, les taudis urbains, semblent toujours appartenir à une époque depuis longtemps révolue sous d’autres cieux. Dans les années 1980, j’avais pu lire un magazine sur l’état de Nanterre dans les années 1950 : on eût dit, alors, le paysage familier des bas quartiers autour de la colline d’Antananarivo. Depuis, cet Ouest parisien a emprunté le train d’au moins une modernité d’équipements : pour ne parler que de l’abandon du lavabo solitaire en intérieur, la fin de la salle d’eaux commune sur le palier, avant la généralisation de l’accès à l’eau courante à domicile, tandis que la Une des journaux tananariviens de 2018 montrent encore des files de bidons et jerrycans attendant leur tour à une borne-fontaine. Quand je lis les Alphonse Daudet (mort en 1897), Émile Zola (né en 1840), Jean Giono (né en 1895), Marcel Pagnol (né en 1895), Bernard Clavel (né en 1923), et leurs romans-documentaires sur la vie des gens simples, je me demande chaque fois comment ces Français-là avaient pu se projeter à conquérir Madagascar en 1895. C’est que leur réalité, leur quotidien, les conditions de leur vie, ne les situaient pas à des années-lumières du dépouillement des populations malgaches qui leur étaient contemporaines. Sauf, peut-être qu’une masse critique existait déjà dans la France d’alors sur le point d’accéder à un statut social intermédiaire. Tandis que, chez nous, en dehors de courtisans et leurs clients gravitant autour de la Reine et du Premier Ministre, la grande masse de la population malgache continuait de vivre une réalité plus proche du Moyen-âge que de la première Exposition universelle de Londres. Il n’est pas moins vrai qu’à l’articulation des périodes Andrianampoinimerina et Radama, entre la fondation d’une organisation étatique et la première reconnaissance à l’international, tandis que nous balbutions encore les rudiments d’une certaine modernité, Pitt (1759-1806), Talleyrand (1754-1838) ou Metternich (1773-1859) conjuguaient déjà à tous les modes leur science de l’État et des intrigues internationales. Sans parler des avancées médicales, des inventions technologiques, des idées philo­sophiques. Appartenir au groupe des «PMA», pays les moins avancés et, à ce titre, être éligible à l’IPPTE : «initiative en faveur des pays pauvres les plus endettés» ; se voir imposer des «programmes d’ajustement structurel» ; passer par la porte tellement basse, qu’elle en devient une chatière pour animal domestique, des conditionnalités des bailleurs de fonds ; devoir se féliciter de la reconduction de telle aide ou de telle assistance qui sont autant d’aumône : là sont les vraies insultes, là est la véritable humiliation. par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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