Ces gens-là


Ces gens-là, Monsieur... J’ai encore croisé un cortège ululant. La moto ouvreuse à l’avant-garde, signaleur avant-coureur et force gesticulations péremptoires, avertisseur très sonore de l’armada qui allait déferler à toute vitesse vers une urgence qui n’a jamais encore rattrapé la chute libre du pays. Cette fois-ci, à Ampandrianomby, ils n’étaient pas en sens interdit. Et aucun enfant n’a été harponné par des chauffards très officiels. Quand on sait désormais, mais on le savait depuis 1972 et la chasse à courre aux «FRS» («forces», absolument ; «républicaines», si peu ; «de sécurité», du seul régime), qu’une foule en colère peut mettre le feu à un véhicule de police, quelle sécurité représente finalement cette escouade de bodyguards engoncés dans une importance dont ils sont les seuls dupes, si demander poliment son chemin ferait sans doute mieux l’affaire ? Le fils d’un ancien Premier Ministre raconte comment il avait pu conduire à moto son Chef de Gouvernement de père, parce que les embouteillages rendaient la circulation impossible. C’était, il est vrai, au début des années 1990. Ce devait être ce Premier Ministre dont on disait qu’il n’hésitait pas à prendre un café dans les gargottes. Autres temps, autres moeurs. On se souvient du grotesque de ces gardes-du-corps en équilibre précaire, et pourtant encombrés de lance-roquette, à l’arrière de pick-ups : roulant derrière, j’avais gardé une distance prudente, supputant à chaque cahot, ce qu’une roquette perdue occasionnerait au blindage de la limousine Mercedes que ces guignols étaient censés protéger. Ce devait être sous la Transition de triste mémoire. On en a tourné la page, mais pas les moeurs. Ici, une voiture de police incendiée parce que prise en flagrant délit d’excès de vitesse dans un sens interdit. Là, un officier de police se rendant à ses collègues après un braquage éventé. Ici et là, policiers, gendarmes, militaires, pris dans des associations de malfaiteurs. Forces de l’ordre, dit-on. Milices de désordre, mercenaires d’insécurité. J’avais pu lire les regrets éternels de ces généraux déplorant qu’un de leurs éléments, pris en flagrant délit de banditisme, ait encore été abattu par l’anti-gang alors qu’il était déjà désarmé. C’est ce qui arrive quand les uns et les autres savent comment fonctionnent les réseaux d’impunité. Et quand les uns et les autres savent la corruption de la sévérité exemplaire par des considérations droits-de-l’hommistes anachroniques. Ces gens-là, Madame... Apprendront-ils jamais de leurs erreurs et de celles de leurs prédécesseurs ? Comprendre pourquoi la confiance a déserté les relations de sociabilité. Progressivement mais inexorablement. Policiers ripoux, gendarmes vendus, militaires à la solde, magistrats à l’encan, journalistes à la soupe, politiciens auto-reverse... Chez ces gens-là, on ne pense pas, on triche et on compte. Heureusement, tous ces gens-là ne sont pas tous les gens.
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