Bemiray - « Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière »


La maîtrise du feu est l’une des découvertes essentielles pour l’humanité. Mais cet élément peut être à la fois bienfaisant et malfaisant. Le volet touristique des stations thermales est évoqué par Tom Andriamanoro dans Bemiray d’aujourd’hui. Us et coutumes - Sous le signe du feu Parcourir distraitement de vieux journaux qui n’ont pas été affectés à d’autres usages réserve parfois plus de surprises qu’on ne le croit. Imaginez donc l’horreur vécue par ce fouineur en tombant sur un article relatant une assemblée générale des résidents de la Cité U d’Ankatso. À l’unanimité des participants, il a été décidé que tout voleur surpris dans l’enceinte de la Cité serait …brûlé vif sans autre forme de procès. Il est à espérer que, de la part d’intellectuels en herbe, il ne s’agissait que d’une simple intimidation. Du temps de notre fouineur, tout ce qu’on voulait allumer en suivant les dédales de ce campus, c’était l’attention d’une étudiante dans l’espoir d’un bonus qui n’est point à détailler dans ces chastes lignes … Le feu a toujours tenu une place importante tant dans l’imaginaire malgache que dans l’Histoire réelle de ce pays. Raminia, l’ancêtre commun des ethnies du Sud-Est, serait né de l’association du feu des étoiles et de l’écume de la mer. Transposé dans la mythologie indo-iranienne, il serait donc un Kavi, une notion qui, en Iran, a évolué vers celle de roi, et en Inde vers celle de brahman. Ayant dû s’absenter quelque temps, il confia ses terres à son frère Andriandrakovatsy qui les usurpa. À son retour, le frère félon s’enfuit vers le Nord et s’enfonça à l’intérieur de l’île où il épousa une Vazimba. En bordure de la RN1, la citadelle d’Antongona est en fait composée de trois blocs de granit : Ambohibato par où se fait l’accès, Ambohimirandrana le plus haut, et Antongona proprement dit, avec à son sommet, deux Rova transformés en musées. C’est ici que de grands feux étaient allumés pour demander l’aide des gens d’Ambohi­manoa. Ces derniers finirent par se lasser, d’où l’expression « Efa ho lava ohatran’ny afon’ Antongona », on est fatigué des feux d’Antongona ! Peu de temps avant l’accession au trône de Radama II, un feu d’origine mystérieuse éclata à Ambohidratrimo et longea l’Ikopa jusqu’à Antananarivo. Le peuple y vit un mauvais présage qui se confirma, puisque le règne de ce roi fut un des plus courts de l’Histoire de la royauté, et lui-même finit assassiné lors d’une conspiration fomentée par les traditionnalistes. Quand Rasoherina inaugura son Palais de Manampisoa, elle interdit à quiconque d’allumer un feu : « Moi seule le ferai en entrant dans ma nouvelle demeure ». Ce n’est qu’après que d’autres lumières furent apportées, et que les invités rejoignirent la grande salle centrale, conduits par le Premier ministre. Sous la très chrétienne Ranavalona II, le missionnaire norvégien Lars Larsen décrit en ces termes la destruction de l’idole royale Manjakatsiroa : « On alluma le feu et elle sembla se plaindre en se tortillant. Ce furent ses cheveux qui flambèrent les premiers, puis ses mains, ses pieds, et son corps tout entier avec la table où elle était posée ». Stratégie de la tension L’œuvre la plus dramatique du feu fut bien sûr l’incendie criminel du Rova d’Antananarivo un certain soir du 6 novembre 1995. Laissons la parole à Françoise Raison-Jourde, enseignante d’Histoire à l’Université Paris VII : « Le 6 novembre ont éclaté à Antananarivo deux incendies (…) Le matin, en Basse ville, ont brûlé les bâtiments du ministère des Finances abritant ses archives. La délégation du FMI venue négocier est repartie aussitôt, les dossiers ayant été détruits. Le deuxième incendie a éclaté à la tombée de la nuit dans la ville Haute. Il a détruit cinq bâtiments dont la très élégante Maison d’Argent et le gigantesque Palais de la Reine, ainsi que le temple royal construit au cours du XIXè siècle (…) Ce comportement suicidaire, malheureusement fréquent à Madagascar, peut être interprété comme un appel (…) Le feu révèle la mise en œuvre d’une stratégie de la tension. Brûler consiste à parler sans parler, à émettre un message ambigu dont le sens sera déchiffré par l’opinion ». Dans un autre article paru dans le Monde diplomatique, Françoise Raison-Jourde cite un Malgache conscient que le pays a frôlé un désastre ethnique : « Nous avons brûlé nos forêts, nous brûlons nos Palais, supports de nos mémoires, et nos ancêtres royaux. La prochaine fois, nous nous brûlerons nous-mêmes. Portons le deuil de nos Palais, mais plus chère encore doit nous être l’unité nationale ». La ville-pyramide était fière de ses Palais, les Palais s’écroulèrent sans que « Tana » n’en meure. Mais le feu a un ennemi devant lequel il ne peut que capituler. Eugène Toulet qui a passé toute son enfance dans la brousse malgache fait parler le feu, conscient de son point faible, en ces termes : « Je flambe, je brûle, consumant tout sur mon passage. D’une pincée de cendres, je signe mon œuvre de mort. Je suis l’anti-Vie, j’en suis fier, et je le proclame. Mais que sur moi on verse un seau d’eau et, en d’horribles hoquets de vapeur, j’étouffe et je meurs. Croyez-moi, l’eau est plus forte que moi ». La puissance de l’Eau source de vie souffla un jour sur Manjakamiadana, à un moment où beaucoup ne pensaient plus pouvoir en faire qu’un jardin des souvenirs. Les tours veillent de nouveau sur la Ville des Mille. Mais le feu s’est trouvé d’autres champs à réduire en cendres dans le quotidien et l’esprit même des Malgaches, au nom de ce qu’on appelle, je crois, la justice populaire. Fitsaram-bahoaka ! Produits - Le crocodile, entre commerce et préservation Le Zimbabwe n’est pas particulièrement un modèle de réussite économique. Il n’en demeure pas moins que le commerce de peau de crocodile qu’il exporte principalement vers Singapour, la France, et la Thaïlande lui rapporte quelque 10 millions de dollars par an. La Colombie reste le plus gros fournisseur mondial avec ses plus de soixante fermes d’élevage contre une seule pour Madagascar. Sur trois méthodes de prélèvements d’œufs, la Grande île en pratique deux : le prélèvement fourni par l’élevage en captivité, également pratiqué dans des pays comme les États-Unis, le Brésil, l’Australie, l’Afrique du Sud, l’Australie, et le ranching. Cette méthode consiste à prélever les œufs dans la nature et assure un taux de réussite oscillant entre 60 et 70%. À Madagascar le ranching se fait surtout dans les régions de Besalampy, de Maintirano, et de Tambohorano. L’essor des élevages a permis de sauver des espèces vouées à l’extinction et qui ne suscitent guère la sympathie du grand public. Sous l’appellation de « crocodile », on retrouve plusieurs variantes dont les alligators, les caïmans, les gavials. La plupart sont listés en Annexes I ou II de la Convention de la CITES Thermalisme - Des eaux et des idées Il est permis d’en rire, tant l’idée peut paraître saugrenue : la République tchèque est célèbre pour ses stations thermales qui attirent des centaines de milliers de curistes par an, ainsi que pour ses brasseries. Tous les ingrédients sont réunis pour l’impensable : des bains de bière à l’eau sulfureuse et aux herbes aromatiques. On doit cette trouvaille à un commerçant de Chodova Plana près de la mythique Marienbad : baignoires en métal poli, médecins et infirmières spécialisées en balnéothérapie… La clientèle se bouscule pour l’équivalent de 60 000 ariary, avec en première ligne, les nouveaux riches russes. Bon prince, la direction offre en prime à chaque client devinez quoi ? Une grande chope de bière maison. Adonnons-nous juste un instant à une petite fiction : et si la capitale du Vakinankaratra cédait un jour à la même tentation ? Elle a des eaux riches en alcalis reconnues comme étant parmi les meilleures du monde. Une grande marque de bière, maintes fois primée sur la scène internationale, y est pratiquement chez elle. Tout en ne lui souhaitant pas de s’inspirer des bizarreries tchèques, force est de reconnaître qu’un effort est à faire pour qu’Antsirabe réponde aux exigences, notamment touristiques d’une vraie Ville d’Eaux. On est bien loin d’Evian ou de Vichy, alors que le thermalisme devrait être son produit-phare y compris sur l’international, au lieu de se suffire de n’être qu’une étape vite expédiée sur la route du Grand Sud. Le bâtiment du Centre de crénothérapie date de 1968. Dans sa partie Nord se trouvent la piscine couverte et le bassin de rééducation, les salles à l’ouest étant, pour leur part, réservées à la physiothérapie. Un bâtiment construit en 1924 est aménagé en cabines individuelles dont une est munie de jets plantaires, de jets latéraux, et d’une lance percutante pour l’hydro-massage. Une autre cabine dispose d’une baignoire à bain tourbillonnant. Dans le même bâtiment se trouvent les salles de massage à sec et celles pour les cataplasmes de boue. Une cure thermale ne fait, en effet, pas appel uniquement à l’eau. D’autres composantes entrent en compte, comme la boue, la vapeur, et les appareils électriques du genre aérosols, infrarouges, et ondes courtes. Atouts On ne peut donc pas dire que le Centre soit sous-équipé, seulement avec ses airs de simple établissement hospitalier pour une clientèle locale, il n’apporte pas toute la valeur ajoutée qu’on pourrait en attendre pour l’économie de la capitale du Vakinankaratra. En son temps, l’administration coloniale a bien compris tout le bénéfice qu’elle pouvait tirer de cette région constellée par pas moins de trente sources thermales, en mettant en place les infrastructures et la logistique nécessaires. Elle a tout d’abord déclaré propriétés de l’État toutes les sources dont une, découverte en 1913, continue à alimenter certaines salles. L’Hôtel des Thermes est ouvert en 1922 pour assurer les meilleures conditions d’hébergement des curistes dont beaucoup viennent d’Europe et des Îles voisines. Une ligne de chemin de fer est inaugurée l’année suivante pour donner à Antsirabe encore plus de commodité d’accès. « Nous n’avons plus qu’à attendre les malades, les touristes, et les fortunes », disait-on alors. Cette clientèle existe toujours aujourd’hui mais plus exigeante, plus avide de découvertes, et elle n’attend que d’être séduite par des offres suffisamment « incentive » comme on dit dans le jargon. Antsirabe mérite un tourisme d’une toute autre dimension, s’articulant autour d’un thermalisme mis aux normes internationales comme n’importe quel autre produit, ambitionnant d’être compétitif. Les eaux parmi les meilleures du monde entraîneront dans leur sillage d’autres atouts tels que la randonnée à laquelle se prête admirablement cette région, la gemmologie, le golf, pourquoi pas ? et, en plus grand, le tourisme de Congrès. Ne plus vivre sur son passé, investir pour le futur en y mettant les … idées et les moyens qu’il faut, c’est tout le mal que l’on souhaite à « Bira ». Rétro pêle-mêle Et les ondes se mirent à la FM. 1991, les circonstances étaient trop graves pour que la population en saisisse la portée, mais la naissance d’une radio artisanale couvrant une poignée de kilomètres a été un passage sans retour vers la modernité. Il s’agissait de la Radio Feon’ny Vahoaka (RFV) d’Alain Ramaroson, qui bénéficia du concours tacite de quelques agents de la Radio nationale. La Radio Tsioka Vao d’obédience ratsirakiste vit le jour l’année suivante, et l’engouement pour la modulation de fréquence ne s’arrêta plus à cette bipolarisation politique. Quatre ans plus tard, le compteur était passé à onze stations, sans que les qualités techniques ou d’animation d’antenne soient les préoccupations majeures. Citons pêle-mêle Alliance FM financée par le réseau des Alliances Françaises, Amontana de la province d’Antananarivo, Antsiva de l’économiste Tovonanahary Rabetsitonta, Korail importée par un groupe réunionnais, MRE, la toute première radio évangélique du pasteur Jocelyn Ranjarison, Radio Lazan’i Iarivo de l’homme d’affaires jazzophile Sylvain Rabetsaroana. On retiendra surtout de cette période héroïque le « trio infernal » de Radio Tsioka Vao composé de Maurice Tsiavonana, Pamphile Rambelo, et Pierre Houlder, qui donna à la chronique politique un punch nouveau. Lettres sans frontières Jean-Henri Azéma In D’azur à perpétuité Suis-je ce poète ou ce négrier ? J’ai couru le monde et je suis tout couvert Des poussières des routes du pollen des pampas Je suis comme ce cheval du Graal au désert Cherchant de par le monde un peu du sang de Dieu Entre les candélabres de cactus qui s’allument de fruits Entre les ocelles des dunes sans oasis entre les nuits Qui scandent en spondées d’étoiles les reniements Entre les grands squales bleus que sont les femmes Entre l’épluchure de la mangue et le canif Entre les jardins d’îles les aridités les récifs Et les séquoias figés des lointaines patagonies Entre deux sexes entre deux peaux entre deux races Séga séga séga et maloya Séga pour les fusils En rémission des exils Maloya pour l’île Je suis le passager étranger du vocabulaire De l’anarchie des vents de la glose des lianes De l’alphabet lacté de la mer pituitaire J’ai remonté le fleuve du passé vers l’amont De mon parentage je suis une voix sans visage Suis-je ce poète ou ce négrier ce geste ou cet affront Imposé à la chaîne inhumaine de l’esclavage Plus loin plus haut à la cime du temps Quelles ardeurs me brûlent ô doute lancinant Et cette île écarlate entre couleurs et races Sait-elle qu’il n’est pas deux chevelures et deux élans pareils Et que la soie des cœurs exige d’étranges saveurs Un plein stock d’odeurs des poignées d’épices Je sous-entends des tourterelles dans les eucalyptus Dont les branches s’entrouvrent comme des hanches Et m’obsèdent soudain en leurs balancements. Textes : Tom Andriamanoro Photos : Archives de L’Express de Madagascar - AFP  
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