Des possédés pour représenter les morts royaux


Les conceptions sakalava relatives au monde et au pouvoir « sont liées aux appareils politiques Ampanjaka ». J.F. Bare, dans sa communication lors du Colloque des historiens et juristes à l’Académie malgache, qui se tient du 5 au 12 septembre 1977, fait remarquer le « trouble observable chez les représentants de l’État malgache, lorsque les conversations venaient à porter sur les conceptions sakalava relatives au monde et au pouvoir, comme si elles produisaient dans leur pensée un impact fort contre lequel leur rôle social officiel menait une sorte de lutte obscure et inégale » (lire précédente Note). Les monarchies du Nord-ouest de Madagascar sont construites autour de deux structures d’autorité. Il s’agit de l’appareil dit « des vivants » (ny velona ou ny manoro) qui a pour tête (loha), le souverain vivant; et l’appareil dit « des morts » (ny mihilana) ou, par une locution plus récente (ny andagnitry), lié aux tombeaux royaux et qui, en théorie, « est à la disposition des morts royaux ». J.F. Bare affirme que ces morts royaux sont représentés par des possédés installés aux tombeaux royaux. Ils sont légitimés comme « vrais » possédés par l’ensemble des conseillers des deux appareils. « Quand les conseillers des vivants et des morts authentifient la présence, chez un individu, d’un souverain mort, ils se donnent ainsi à eux-mêmes un maitre qui n’est rien d’autre que l’incarnation de leur propre définition du passé historique et donc de l’ordre monarchique actuel. » C’est ainsi que, dans les assemblées de possédés du Nord-ouest, se retrouvent au même moment et dans le même espace « Andriamisara, fondateur mythique des dynasties du Nord-ouest, et Amada; Andriantsoli, dernier souverain du Boegny indépendant, et le gouverneur politique de la Joja dans les années 1930, Andriamiverigniarivo dit aussi Zaman’Bao. » Ainsi, un observateur présent est alors confronté à des sensations comparables à celles que produit l’entrechoquement de catégories culturelles normalement opposées. Dans le Nord-ouest, c’est le cas du présent et du passé, de la mort et de la vie, de l’avant et de l’après, tout Sakalava du Nord ayant une représentation précise du temps dès qu’il s’agit des vies individuelles. Il emploie sans cesse des locutions « à présent » (izy io), « autrefois » (taloha). « Quand on lui parle d’un mort, il répond facilement avec un certain désintérêt qui masque d’ailleurs de la crainte, qu’il est déjà (efa) mort. » La locution qui revient souvent dans le travail généalogique à propos des générations mortes est « efa maty aby olo zegny» qui signifient à peu près «tous ces gens-là sont morts. » Dès lors, indique J.F. Bare, les « paradoxes de la possession et de son rôle politique » sont liés à des conceptions profondes du pouvoir politique et de l’histoire. Car, explique-t-il, le pouvoir monarchique sakalava se réserve cet avantage et ce danger, la permanence volontariste des morts ou plutôt- puisque comme l’affirme la tradition « les morts n’ont guère de prétentions » (maty tsy raha mihavona) le jeu et la représentation théâtrale de la permanence des morts royaux. L’auteur ajoute que par ce biais, toute période politique nouvelle est assimilable, les puissants d’aujourd’hui devenant les morts royaux de demain que de nouveaux « canaux » (saha) feront passer dans le fantasme sakalava de l’éternité du pouvoir monarchique. « La fragilité de ce système qui explique d’ailleurs probablement la chute de la capacité de mobilisation des monarchies, tient cependant à une difficulté majeure. Pour que l’appareil monarchique puisse toujours légitimer des possédés de manière cohérente, il faut que ces derniers représentent des personnages dont les biographies sont assimilables par les catégories culturelles locales. » Et l’auteur de conclure que plus les vivants s’écarteront dans leur enracinement sociologique et culturel des modèles anciens, « plus il sera difficile et angoissant d’être possédé ».
Plus récente Plus ancienne