Sous métier


Dramatique. Il n’y a plus assez d’enseignants pour les universités. Le besoin est estimé à un millier d’enseignants pour couvrir tous les postes vacants dans toute l’île. Une triste réalité à laquelle il fallait s’y attendre depuis des années quand le domaine de l’enseignement en général est déconsidéré dans une société en décomposition où la médiocrité a royalement supplanté l’excellence et la qualité. Ce n’est pas la vocation d’enseignant qui a disparu, étant donné que des jeunes sortent encore de l’École normale supérieure à Ampefiloha et dans les diverses filières des universités, c’est le traitement réservé aux enseignants, de l’enseignement de base à l’enseignement supérieur en passant par l’enseignement secondaire, qui est déplorable. Les enseignants constituent les parents pauvres du système depuis la seconde République alors que devenir enseignant était la majorité des réponses de la rubrique « carrière envisagée », des élèves de la classe de sixième durant l’ère Tsiranana, le petit instituteur qui avait su donner tous les mérites à l’éducation et à l’enseignement. Ironie de l’histoire, c’est un mouvement des étudiants qui allait le renverser du pouvoir. Aujourd’hui, les enseignants-chercheurs sont réduits à des enseignants chercheurs d’indemnités de toutes sortes à travers des grèves récurrentes pour sécher les cours, bloquer les résultats des examens ou boycotter la rentrée universitaire. C’est leur seule arme pour se faire entendre et considérer mais les résultats des revendications sont maigres étant donné que ce sont toujours les étudiants qui sont pris en sandwich entre le mouvement légitime des enseignants et l’indifférence de l’État, motivé par le poids électoral insignifiant des enseignants. Un enseignant-chercheur se démultiplie aujourd’hui par trois ou quatre monnayant ses qualités dans les universités privées accréditées pour pouvoir vivre honnêtement comme un magistrat, un inspecteur des douanes, un inspecteur des impôts, un cadre de la Banque centrale, un officier supérieur, un commissaire de police. Et comme la corruption n’a pas encore atteint le monde universitaire, fort heureusement, ils sont loin du compte quand on ajoute la rançon d’un jugement arrangé, d’une taxe douanière exonérée, d’une arrestation bloquée au revenu de leurs homologues des autres corporations de la Fonction publique. Bien évidemment, un recrutement massif pourrait être la solution mais ce sont les candidats qui manquent. Il faut absolument des qualifications et on ne peut pas faire appel aux tout-venant comme l’Éducation nationale l’a fait au profit des maîtres Fram. Une opération financée par la Banque mondiale dont elle constate elle-même les conséquences catastrophiques, trois ans après son lancement. Avec un effectif de quarante mille enseignants dont des milliers munis de faux diplômes, on peut imaginer le désastre qui guette le pays dans les années à venir. On se demande, d’ailleurs, pourquoi l’enseignement supérieur n’a jamais les faveurs des bailleurs de fonds. On peut revenir au système de coopérants étrangers des années 60-70-80 avec des enseignants européens et soviétiques, avec un financement des partenaires même, s’il est préférable de consacrer le fonds à améliorer les conditions des enseignants nationaux. Avec le salaire des cadres expatriés, les vocations se multiplieront par cent facilement. Le drame est, pourtant, plus dévastateur que la peste laquelle a bénéficié d’une générosité sans bornes des partenaires internationaux. À moins qu’ils contribuent à l’établissement d’une Nation peuplée d’ignorants et d’illettrés où les élections sont plus que jamais libres et démocratiques. Avec une capacité d’accueil réduit au quart, un budget dérisoire et inadapté aux exigences du système LMD, les universités fonctionnent cahin-caha et font payer les étudiants pour subvenir aux besoins pédagogiques. Une situation inadmissible pour un établissement public où les vaillants enseignants continuent à exercer un sous métier au-delà de l’âge de la retraite à un moment où la tendance est aux métiers à gros sous. Par Sylvain Ranjalahy
Plus récente Plus ancienne