Bemiray - « Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière » - Monde - Si loin l’Arménie


[caption id="attachment_70900" align="alignleft" width="300"] Hommage à Charles Aznavour, le 1er octobre dernier, par la jeunesse arménienne
sur la Place éponyme à Erevan.[/caption] Bemiray nous informe un peu plus sur l’Arménie, ce pays chrétien depuis des millénaires du Caucase et dont le peuple est réparti de manière égale en autochtones et en diaspora. Ensuite, Tom Andriamanoro s’intéresse à La Réunion aux multiples religions. A-t-il fallu que Charles Aznavourian de son vrai nom tire sa révérence, ou que le XVIIè Sommet de la Francophonie se tienne à Erevan, pour que le monde ressente la curiosité d’en savoir un peu plus sur ce petit pays tout en montagnes et en vallées encaissées, coincé de toute parts dans le petit Caucase ? À l’absence de façade maritime et à son relief tourmenté s’ajoutent les aléas de la politique. L’Arménie est en froid avec deux de ses voisins, l’Azerbaïdjan et la Turquie, sa frontière avec la Géorgie n’est desservie que par une route en mauvais état et une ligne de chemin de fer, ce pays se méfiant des velléités autonomistes de sa minorité arménienne. Sur les mille kilomètres de frontière que compte l’Arménie, huit cent quarante-trois sont fermés. Paradoxalement, c’est avec l’Iran qu’elle entretient des relations et des échanges économiques à peu près normaux. L’aéroport d’Erevan est de ce fait le seul véritable accès reliant l’Arménie au reste du monde. Et pourtant ce pays a une histoire qui remonte aussi loin que…la préhistoire. Il est prouvé que le peuplement de la région autour du Mont Ararat, aujourd’hui annexée par la Turquie, remonte à cette lointaine nuit des temps. Les archéologues continuent de trouver des preuves selon lesquelles l’Arménie était un ancien centre de civilisation datant de l’âge de bronze, voire plus loin. C’est dans des grottes arméniennes qu’on a découvert les plus vieilles chaussures en cuir du monde, une jupe authentique, ou encore une structure de production de vin. Une inscription cunéiforme retrouvée à Erevan a permis de conclure que l’actuelle capitale a été fondée en 782 av. J.C., et est une des plus vieilles villes au monde à avoir pu déterminer avec autant de précision la date de sa fondation. L’Arménie est aussi le premier pays au monde à avoir adopté le christianisme comme religion d’Etat. C’était au début du IVè siècle sous le roi Tiridate IV. Le cheminement était prévisible puisque, selon les Saintes Écritures, c’est sur le Mont Ararat qu’a échoué l’Arche de Noé (Genèse 8 : 4). Aujourd’hui 94% des Arméniens appartiennent à l’Eglise apostolique autocéphale orthodoxe. [caption id="attachment_70901" align="alignleft" width="324"] Erevan a accueilli le XVIIè Sommet de la Francophonie, les 11 et 12 octobre derniers.[/caption] Mœurs politiques [caption id="attachment_70902" align="alignright" width="300"] Massacre des habitants du village de Sheyxalan, lors du génocide des Arméniens perpétré par l’armée ottomane, en 1915.[/caption] Le 24 avril 1915, le gouvernement dit des Jeunes Turcs de l’Empire ottoman décide l’extermination systématique de la minorité arménienne vivant dans l’actuelle Turquie. Ce qui est considéré comme le premier génocide du XXè siècle n’a jamais été reconnu comme tel par la Turquie où sa simple mention est un délit puni par la loi. En 1920, l’Arménie est incorporée dans la République démocratique fédérative de Transcaucasie qui devient un membre fondateur de l’Union Soviétique. La République transcaucasienne est dissoute en 1936, ce qui entraîne l’émergence d’une République socialiste soviétique d’Arménie. Celle-ci acquiert sa véritable indépendance en 1991, après la désagrégation de l’Union Soviétique. Elle n’en a pas moins veillé à garder de bonnes relations avec la Russie qui est un indispensable partenaire dans la région. Elle abrite par exemple une base militaire russe sur son sol, à Gyumri. Mais on sent dans l’orientation de sa politique étrangère le souhait de s’intégrer un peu plus dans les Institutions européennes. L’Arménie a ainsi adhéré au Programme de partenariat pour la paix de l’OTAN, ainsi qu’au Conseil de l’Europe. Il n’empêche que les mœurs politiques ont gardé quelques pratiques aux antipodes des principes européens, heureusement rejetées par la population. C’est ainsi que Serge Sarkissian, élu à la présidence en 2008 et réélu en 2013 a trouvé une astuce pour rester au pouvoir malgré les dispositions constitutionnelles : il fit voter une loi donnant des pouvoirs élargis au Premier ministre, pour ensuite se faire nommer à ce poste par le Parlement. Il n’y resta pas longtemps, obligé de démissionner sous la pression de la rue et remplacé par le chef de l’opposition Nikol Pachinian (NDLR : il a annoncé, mardi 16 octobre, sa démission à la télévision, une décision destinée à convoquer des élections législatives anticipées qu’il souhaite organiser avant la fin de l’année). Comme quoi la démocratie peut passer par la rue, n’en déplaise aux idées d’une certaine classe politique malgache. Le manque de moyens de l’État est comblé en partie par une diaspora active et patriote, toujours en première ligne pour le financement d’écoles, de routes, ou d’ouvrages d’art nécessités par le relief du pays. L’Arménie est enfin un membre permanent de l’Organisation Internationale de la Francophonie dont elle vient d’accueillir le Sommet. Emmanuel Macron avait programmé de s’y rendre en compagnie de Charles Aznavour. Le destin en a décidé autrement. [caption id="attachment_70903" align="alignleft" width="222"] Le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny.Le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny.[/caption] Rétro pêle-mêle [caption id="attachment_70904" align="alignright" width="236"] Le président ghanéen Kwame N'Krumah.[/caption] À l'aube des indépendances africaines, deux figures mythiques se lancent un défi avant de suivre chacun la route qu'ils ont choisie pour leurs pays respectifs : d'un côté Kwame N'Krumah du Ghana, surnommé « Osagyefo », ou « le Rédempteur », chantre du panafricanisme et de l'authenticité, et de l'autre Félix Houphouët-Boigny, père de la nation ivoirienne et pur produit du néocolonialisme. Dix ans ont suffi au Ghanéen, empêtré dans son utopie révolutionnaire, pour irrémédiablement perdre son pari. De son côté, Houphouët-Boigny jette les bases de ce qui sera la nation la plus prospère et la vitrine de l'Afrique de l'Ouest. Il mise avant tout sur les grands travaux et accueille à bras ouverts capitaux et compétences étrangères qui finissent par se comporter en pays conquis. Mais le raisonnement du « Vieux » est simple: rien de ce qui est construit ne pourra être emporté chez eux par les étrangers, et restera patrimoine de la Côte d'Ivoire. Ses rêves de grandeur trouvent leur apogée dans la grande basilique de Yamoussoukro, la capitale politique, surgie de nulle part et dont certaines avenues finissent en cul-de-sac dans les herbes folles. Mais l'Histoire est un long fleuve qui peut réserver des surprises. Le Ghana renoue avec le pragmatisme et le développement grâce à un officier putschiste, le capitaine d'aviation Jerry Rawling, tandis que la Côte d'Ivoire est toujours orpheline d’Houphouët-Boigny vingt-cinq ans après sa mort, et s'enfonce dans les affres de la guerre civile. [caption id="attachment_70905" align="alignleft" width="300"] La marche sur le feu pratiquée par les hindouistes réunionnais est un témoignage de pureté
et de vérité.[/caption] Océan Indien - La Réunion, une mosaïque de religions [caption id="attachment_70906" align="alignright" width="300"] Les musulmans de La Réunion célèbrent l’Eid al Fitr.[/caption]   Les plus grandes religions du monde se retrouvent sur l'Île de La Réunion, favorisées par le brassage humain qui s'y est développé au fil des siècles. Le christianisme est de loin la religion la plus pratiquée, et on estime que 95% des Réunionnais sont catholiques. C'est le fruit d'une évangélisation à pas forcés qui a été imposée même aux esclaves nouvellement arrivés. La seconde religion de l'Île, historiquement et par le nombre des adeptes, est l'hindouisme. Il a été importé par les travailleurs indiens. Cette religion est une curiosité à part entière pour le visiteur, avec la décoration des temples et surtout les fêtes religieuses tamoules. On citera les pénitents qui se transpercent la peau avec d'innombrables aiguilles tout en portant de lourds autels chargés de fleurs, et surtout les marches sur le feu qui se pratiquent en janvier. Impressionnant! L'islam est plus discret, mais les mosquées de Saint-Pierre ou de Saint-Denis peuvent être visitées si on respecte les règles de bonne tenue et de silence. Les costumes musulmans sont de retour, notamment la gandoura blanche pour les hommes. Le taôisme est ici plus une tradition culturelle qu'une religion. Il n'est pas rare que des familles célèbrent la fête de Guan Di et brûlent des encens devant la statue de Bouddha. Mais elles n'oublieront jamais d'aller à la messe le dimanche et de baptiser leurs enfants... [caption id="attachment_70907" align="aligncenter" width="300"] Célébration de la fête de Guan Di, en août 2017, par la communauté chinoise taôiste de Saint-Pierre.[/caption] [caption id="attachment_70908" align="alignleft" width="300"] Madajazzcar 2008 a été relaté par Samuel Thiebaut dans le n° 599 du magazine Jazzosphère.[/caption] Lu pour vous - L’Île du Jazz Madagascar collectionne les qualificatifs au gré des sensibilités. On connaissait l'Île Rouge, l'Île-continent, l'Île-Passion, l'Île Authentique, un peu moins le Pays de l'Oiseau Roc, que l'on doit au commandant Cousteau, et pas du tout l'Île du Jazz, une création de Samuel Thiebaut, directeur de festivals et co-fondateur du label Archieball. Nous reprenons aujourd'hui des extraits de son article sur Madajazzcar paru dans le n° 599 de janvier 2009 du magazine Jazzosphère. Le gendarme de faction à l'entrée de la Tranompokonolona d'Isotry passe une tête intriguée dans la salle, puis se faufile à l'intérieur. Ses deux collègues sont déjà là, les yeux et les oreilles rivés vers la scène. À 21h, plus personne ne surveille l'accès de cette « Maison du Peuple », installée dans le quartier le plus chaud d’Antananarivo. Dans la salle, quatre cents Malgaches sur quatre cents strapontins rouges à ressort datant de l'invention du cinéma bougent la tête en rythme, commentent, rigolent... Tout à coup le bassiste lance dans la salle une petite phrase en ternaire. Le public répond d'une seule voix. Mêmes intervalles, même rythme. Une autre phrase, plus complexe, pendant deux bonnes minutes, toujours plus complexe. Il ne s'agit pas de réveiller l'audience, elle a payé sa place, le prix d'un salaire journalier moyen, et n'a pas sommeil. Plutôt un test musical. Un jeu identique n'aurait pas marché ailleurs. Les Malgaches ont de l'oreille et de la voix. Et respirent en ternaire, d'où une certaine familiarité avec le jazz. Ils le parlent couramment. D'un coup je révise mes préjugés sur les publics du jazz à Madagascar : pas un domaine réservé de la bourgeoisie locale, pas un passe-temps élitiste pour « Vazaha ». On y vient en famille, de partout, les oreilles grandes ouvertes. Et Madajazzcar, le festival le plus improbable du monde, se positionne comme le plus grand de l'Île, toutes disciplines confondues: treize jours de concerts, d'ateliers-rencontres, de scènes ouvertes. Madajazzcar n'est pas un festival de plus, c'est surtout un lieu d'espoir pour la jeune garde. De l'Île Rouge peut surgir l'une des formes du jazz les plus singulières du monde. Pour s'en convaincre, rendez-vous en octobre pour le vingtième anniversaire de Madajazzcar. Lettres sans frontières - La fuite Après le départ d’Elo, Mbâ reçut au début une lettre chaque semaine. Il lui disait comme elle lui manquait. Puis sa peine disparaissait. Il lui décrivait tout ce qu’il découvrait en France. Combien la vie lui était plus facile. Puis il resta deux mois sans écrire. Et un jour, elle ne reçut plus rien. Elle apprit au bout de deux ans, par les camarades d’Elo qui étaient rentrés de stage, qu’il se trouvait à Nantes où il avait trouvé une place dans une usine. *** Mbouloukoué est professeur de CEG à Kinkala. Ce samedi-là, il est venu à Brazzaville voir Mbâ. Il lui annonce qu’il vient d’être désigné pour aller en France à un colloque sur l’enseignement des mathématiques modernes. Mbâ a acheté du poisson salé, de la farine à foufou, des gombos et deux ananas qu’elle remet à Mbouloukoué pour celui qu’elle attend toujours. Elle ne songe même pas que la France est grande, et qu’Elo ne pourrait peut-être pas rencontrer son camarade d’enfance. *** Elo et Mbouloukoué prennent le bus et descendent dans la banlieue où habite Elo. Mbouloukoué est étonné de voir Elo passer à l’épicerie acheter du lait, du beurre, des fruits. Puis ils vont au bureau de tabac où ils achètent des Gauloises et France Soir pour, dit-il, jouer au tiercé. - Tu comprends, je suis obligé de faire une partie du marché. Quand ma femme rentre, il est trop tard. - Ta femme ? - Comment, tu ne sais pas ? Je suis marié, mon cher. Mbouloukoué a envie de le traiter de salopard, de lui dire qu’il n’est plus son ami, de lui casser la figure même. - Et Mbâ ? - Entre, je vais t’expliquer… Elo lui parle de sa solitude en France, d’Hélène qui l’a aidé, du fils qu’ils ont ensemble. - Et puis, je ne crois pas que je rentrerai au pays. Ici, un ouvrier qualifié c’est pas un capitaliste, mais ça vit mieux qu’un fonctionnaire chez nous. Au pays avec mon métier je gagne 30 000 francs CFA. Ici j’ai plus du triple avec double pouvoir d’achat. *** Mbâ a entendu frapper à la porte. Elle court ouvrir. Mbouloukoué est debout avec le visage de celui qui vient annoncer une mort. Que va-t-il lui dire, bon Dieu ?
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