La politique sanitaire coloniale remise en cause


LA discrimination raciale, de catégorie… est très remarquée pendant l’épidémie de peste à Antananarivo et ses environs. La contribution des Fokonolona ne s’arrête pas à la construction des lazarets (lire précédente Note). D’après Faranirina V. Esoavelomandroso, en 1923, des plaintes s’élèvent parmi les femmes désignées par les « mpiadidy » et chargées, au titre de corvées de fokonolona, d’approvisionner en eau les trois camps d’observation de la capitale. Corvées qui les obligent, de surcroit, à fréquenter le lazaret, « endroit maudit et dangereux car ceux qui entrent, échappent rarement à la mort ». Leurs récriminations poussent le chef de la province d’Antananarivo à solliciter du gouverneur général l’octroi d’un crédit pour des porteurs d’eau salariés. Toutefois, malgré de pareilles suggestions, la pratique est maintenue. En 1927, à cause d’une pénurie de masques dans la capitale, les fokonolona sont invités à se cotiser « pour acheter la gaze et le coton nécessaires aux infirmiers, médecins et fossoyeurs ». D’après l’article 8 de l’arrêté du 23 mai 1932 sur la prophylaxie antipesteuse, les familles ou le fokonolona ont à fournir l’eau, la nourriture, les nattes de couchage et le bois de chauffage. L’Assistance médicale indigène (AMI) se charge des médicaments et couvertures. Fait devant lequel les indigènes se rendent compte que « le paiement de la taxe de l’AMI ne leur permet pas pour autant de bénéficier de l’assistance médicale gratuite et ne les dispense pas de contribuer matériellement à assurer leur propre bien-être. La contradiction coloniale éclate au grand jour ». L’administration confie à ces mêmes notables la direction des travaux de construction des lazarets et donc le soin de recruter la main-d’œuvre nécessaire aux chantiers. Mais en tant que notables, ces indigènes font face à d’autres obligations que leur imposent le rang à tenir et l’exemple à donner. Ainsi celle de faire des dons plus ou moins spontanés pour les malades et leurs familles (vivres, nattes de couchage, combustibles…). Finalement, pour ces notables comme pour les simples membres du fokonolona, « la peste signifie contrainte supplémentaire ». Poursuivant son étude, Faranirina V. Esoavelomandroso affirme que la manière dont la peste sévit et la sévérité des mesures prophylactiques appliquées aux indigènes révèlent la misère qui règne dans certains quartiers de la capitale et dans le monde rural. Elles provoquent chez les Malgaches une prise de conscience aigüe des inégalités sociales et « une remise en cause non seulement de la politique sanitaire, mais de toute la colonisation ». En général, la peste ne frappe que les Malgaches des quartiers populeux d’Antana­narivo et des villages de l’Imerina : « L’hygiène défectueux explique son extension et sa permanence, et l’épidémie de 1921 soulève le problème des bas quartiers de la capitale, mais la solution préconisée par certains Français est d’éloigner les responsables du fléau : les indigènes. » À l’exemple de Toamasina en 1899 : la commission d’hygiène et des logements insalubres de la ville décide le « refoulement des indigènes » du périmètre extérieur de la ville et « l’éloignement des villages malgaches » à une bonne distance de Tamatave ». Et à la fin de l’épidémie de juillet 1921, à Antananarivo, on envisage aussi « l’extériorisation des indigènes hors du périmètre urbain tout en leur facilitant de jour, pour leur travail quotidien, les moyens de transport à la ville… ceci permettra d’éliminer l’un des principaux facteurs de diffusion des épidémies en évitant cet entassement intra-urbain sur des emplacements trop étroits et inextensibles…». En fait, souligne l’historienne qui reprend un rapport du Bureau municipal d’hygiène, « un assainissement général de Tananarive, allant de pair avec la réalisation progressive d’un plan d’urbanisme rationnel, apparait comme une condition nécessaire pour déraciner la peste de la capitale ». Texte : Pela Ravalitera - Photo : : Agence nationale Taratra
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