La diversité sur un fond commun


Selon des historiens, les cartes des différents peuples et des royaumes de Madagascar, à la fin du XVIIIe siècle, met en exergue le morcellement politique de la Grande ile. Pourtant, elle ne donne, disent-ils, « aucune idée des valeurs qui contribuent, dès cette période, à créer une véritable unité culturelle que l’on peut appeler une civilisation. » Isolés dans la Grande ile, la plupart des Malgaches vivent à l’écart des étrangers. Les contacts sont marginaux et les échanges commerciaux sont le plus souvent limités aux bordures maritimes. Il est vrai que la traite des esclaves freine l’essor démographique dans les régions défavorisées, comme dans le Betsimisaraka, l’Anosy, le pays des Masikoro, mais l’isolement favorise l’évolution de la culture commune. « Les conceptions fondamentales introduites par les différentes migrations se sont mêlées pour constituer un fond de civilisation sur lequel chaque groupe a construit son édifice particulier. » Contrairement à l’Amérique et à l’Inde, aucune tentative de conquête ne réussit dans la Grande ile jusqu’au XVIIIe siècle, alors qu’elle est peu peuplée. Mais les mêmes auteurs rappellent que l’échec des Européens qui tentent de s’y installer, résulte d’abord de cette situation de peuplement épars due à l’hostilité du milieu géographique. « Le paludisme et les fièvres qui régnaient sur la côte Est ont tué un nombre considérable de colons, soldats, commerçants, missionnaires, et découragé les plus intrépides. » En outre, l’insuffisance des moyens face aux difficultés et aux problèmes condamne également tout essai à l’échec final. Étienne de Flacourt et l’Auteur Anonyme le soulignent dans leurs ouvrages. C’est pourquoi jusqu’au XVIIIe siècle, hormis quelques voyageurs, tous ignorent (ou presque) ce qui se passe sur les Hautes-terres. En revanche, l’influence des Arabes et de l’Islam est très importante dans cette zone de l’océan Indien avec les Comores. La monarchie sakalava tire grand profit de l’activité des négociants arabisants et en assujettissant les Antalaotra, elle canalise même une source considérable de richesse. À l’Est et au Sud-est, les valeurs de civilisation islamique beaucoup plus vagues, sont introduites par les immigrants eux-mêmes. Et c’est par leurs « ombiasy »- les devins qui apportent leur science divinatoire, leurs « sorabe » et leur magie- que ces peuples influencent la civilisation malgache. « L’influence des ombiasy fut considérable dans tous ces royaumes. » Par ailleurs, l’unité linguistique dans toute l’ile apparait de bonne heure. Comme l’écrit l’Auteur Anonyme (AA), « ils parlent tous la même langue à quelque chose près. » Et parler la même langue suppose que « l’on aborde les faits de la même façon, qu’on les comprend de même ». Ainsi, depuis longtemps, l’unité de langue facilite les contacts à l’intérieur de l’ile, même si on a tendance à insister sur le compartimentage du relief et sur l’isolement des clans. Certes, l’isolement est dû aux vastes espaces qui séparent souvent les groupes, mais on circule beaucoup dans la Grande ile. D’après François Martin, au XVIIe siècle, des échanges se font entre Sainte-Marie, riche en poissons, et la côte betsimisaraka, productrice de riz. Les traditions betsileo rapportent aussi des échanges entre les commerçants des ports du Menabe et les royaumes betsileo. Les trafiquants d’esclaves, de fusils, de poudre, les convois de zébus utilisent des pistes séculaires et traversent les territoires de nombreux royaumes, passant de province en province. Et comme ces déplacements intérieurs ne vont pas sans péril, la pratique du « fatidra », fraternité du sang, « prend son sens profond dans le contexte des échanges ». Enfin, l’unité de la civilisation malgache se traduit par la communauté de mœurs et des coutumes. « Leurs mœurs ont quelque ressemblance, leur croyance, leurs fêtes, leurs cérémonies religieuses sont à peu près les mêmes, mais leur caractère diffère », indique A.A. qui précise que les Merina (gens du Nord) et les gens d’Anosy, mis à part les « types ethniques », ont bien des points communs. « Si la forme des tombeaux, si les cérémonies mortuaires diffèrent, la croyance demeure la même, et l’édifice social repose sur la même conception de l’ordre naturel des êtres et des choses. » Bref, « l’insularité, la langue, la communauté des mœurs et des croyances sont les pierres angulaires sur lesquelles, malgré les nuances locales, la civilisation malgache s’accomplit ». En fait, la diversité est essentiellement d’ordre politique.
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