Ministère de souveraineté


La transversalité a du bon. Elle permet d’appréhender autrement une réalité qu’on aurait tendance à considérer monolithique. La souveraineté, par exemple, est-elle seulement «régalienne» ou tient-elle à chaque aspect et tous les enjeux de la survie d’une population, d’un territoire, d’une culture ? Je fais violence à mes années de Droit pour dépasser les définitions classiques des publicistes. Extraits de la doctrine : «Les constitutionnalistes appellent “fonctions régaliennes de l’État” les grandes fonctions souveraines qui fondent l’existence même de l’État et qui ne font, en principe, l’objet d’aucune délégation. Elles sont aussi appelées “prérogatives régaliennes” et sont liées à la notion de “souveraineté” (...) L’analyse du concept de souveraineté fait généralement émerger quatre fonctions régaliennes : assurer la sécurité extérieure par la diplomatie et la défense du territoire ; assurer la sécurité intérieure et le maintien de l’ordre public avec, notamment, des forces de police ; définir le droit et rendre la justice ; définir la souveraineté économique et financière, notamment en émettant la monnaie». Les ministères dits régaliens sont classiquement au nombre de cinq : Affaires étrangères, Intérieur, Défense, Justice, Finances. À une époque plus reculée, on aurait parlé, respectivement, de Diplomatie, Police, Armée, Justice et Monnaie. Cependant, la notion de «sécurité» dépasse désormais les seuls aspects militaire ou de police. Pour une île comme Madagascar, nous serions assiégés - proprement «fahirano» comme on disait jadis de ces villages collinaires que les attaquants laissaient simplement se mourir à l’intérieur du labyrinthe de leur «hadivory», le réseau des fossés défensifs - si nous abandonnions à autrui la maîtrise totale de la mer qui nous entoure. «Fahirano» ou privé d’eau, rendant joliment compte d’une réalité qui peut cependant devenir tragique : on se souvient du tollé soulevé quand il avait pu être question d’une exportation d’eau fluviale malgache vers les pays de l’Arabie désertique. Dans l’imaginaire, les gens appréhendaient sans doute de tentaculaires pipe-lines qui pomperaient directement à la source du Matsiatra, du Mangoro, du Mananara, le précieux liquide qui irait se perdre dans le sable des pétrodollars. Pourtant, au quotidien, personne ne prête attention à ces milliers de bouteilles d’eau minérale, exutoires anodins de la nappe phréatique. «La Terre a de la valeur : investissez-y», nous enjoint une récente campagne environnementale. Mais, la Terre de surface uniquement qu’on sait nourricière, ou la Terre avec son sous-sol de richesses minières et d’hydrocarbures, qu’on nous prédit mirifiques ? Et, si l’exploitation sans mesure de la surface et de son sous-sol devait bouleverser définitivement certains équilibres écologiques naturels, à quoi bon des milliards de dollars qui ne pourraient pas marchander un sursis de vie ? Sécurité écologique et agriculturale, donc alimentaire et sans doute déjà physiologique. Ministère de la Terre nourricière ; Ministère du Sous-Sol dont les mines alimentent le seul commerce «noble» des trois plus grandes sources d’enrichissement avec celui des armes et de la drogue ; Ministère des ruisseaux, rivières et fleuves ; Ministère de la Mer à la fois frontière et passerelle ; Ministère de l’Air qu’on respire : tant que notre survie en dépend, ce sont donc autant de ministères de souveraineté. Et si nous sommes tellement, parce que simplement différents, au nom de la Culture majuscule, avec cette langue unique au monde, n’est-ce pas là un autre sanctuaire de souveraineté ? Alors, dans ce mot de «régalien», sans doute faut-il comprendre qu’il y a des souverainetés plus souveraines que certaines autres. Une question de priorité, de hiérarchie, de choix.
Plus récente Plus ancienne