La CENI, bof...


Désorganisation, anomalies, erreurs flagrantes, témoignent qu’en 2018, il fallait cesser d’organiser une élection avec les moyens et méthodes de 1958, l’année du tout premier référendum auxquels les Malgaches furent invités à participer. À ce titre, cette CENI (commission électorale) aura largement déçu les espérances placées en elle, discréditant pour longtemps son concept même. Déjà que la CENI n’avait guère d’originalité originelle, puisqu’on en retrouve le sigle dans nombre d’autres pays, preuve, plus que d’un copier-coller, d’un véritable prêt-à-porter chez les grossistes en institutions qui nous avaient déjà vendu le programme d’ajustement structurel des années 1980 ; les conférences nationales des années 1990 ; et maintenant ces CENI que l’on retrouve d’un bout à l’autre des anciennes AOF (Afrique occidentale française), AEF (Afrique Équatoriale française) et colonies françaises de l’Océan Indien. En préface à «La convergence des modèles constitutionnels : études de cas en Afrique subsaharienne» (Sory Baldé, éditions Publibook), Jean du Bois de Gaudusson, président honoraire de l’Université Montesquieu Bordeaux IV et ancien professeur de droit à l’Université d’Antananarivo, parle de «diffusionnisme institutionnel» quand il évoque «ces conférences nationales, que l’on n’est pas parvenu à rattacher aux modèles historiques des Pères fondateurs américains ni à la réunion pré-révolutionnaire du Tiers-État ; ces commissions électorales nationales sans cesse créées et critiquées ; ces commissions des droits de l’homme ou encore ces juridictions constitutionnelles réactivées et n’hésitant plus à exercer pleinement (certains diront au-delà) leurs attributions, parfois au péril de leur existence». On aurait dit qu’il commentait l’actualité politique malgache depuis avril 2018. Mais, l’ouvrage date déjà de 2011. Dans un autre article, Jean du Bois de Gaudusson évoque les commissions électorales nationales : «Conçues à l’origine comme une solution à une situation de crise politique, ces commissions sont devenues à la fois un mythe constituant un des thèmes mobilisateurs du discours politique en Afrique et un dogme démocratique : on les a considérées comme le passage obligé de la consolidation démocratique» («Les élections à l’épreuve de l’Afrique», in Études et Doctrine, Cahiers du Conseil Constitutionnel, n°13, Dossier : La sincérité du scrutin, janvier 2003). Il commentait alors une décision «historique» de la Cour Constitutionnelle du Bénin, DCC n°34-94 du 23 décembre 1994 : «La création de la CENA, en tant qu’autorité administrative indépendante, est liée à la recherche d’une formule permettant d’isoler, dans l’administration de l’État, un organe disposant d’une réelle autonomie par rapport au gouvernement, aux départements ministériels et au Parlement (...) La création d’une Commission Électorale Indépendante est une étape importante de renforcement et de garantie des libertés publiques et des droits de la personne ; qu’elle permet, d’une part, d’instaurer une tradition d’indépendance et d’impartialité en vue d’assurer la liberté et la transparence des élections, et d’autre part, de gagner la confiance des électeurs et des partis et mouvements politiques». On sait désormais, pour en avoir vu la double défaillance de 2013 et 2018, qu’une CENI ne fait pas la sincérité du scrutin, pas plus qu’elle ne fait la démocratie. Il semble qu’un standard international de qualité pour les élections existe depuis février 2014 avec la norme ISO/TS 17582. Informatiser l’état-civil, informatiser le recensement de la population, informatiser une liste électorale permanente, informatiser le vote pour un résultat en temps réel. Et une puce, un code-barre, un code QR, pour chaque Malgache depuis sa naissance jusqu’à sa mort. L’idée de CENA/CENI/CEN, selon le député béninois Joseph Gnonlonfoun, qui avait porté la proposition de loi, était clairement de dépouiller le Ministère de l’Intérieur de toutes ses prérogatives en matière électorale : organisation, suivi, contrôle. Car c’est au Bénin qu’est né le concept d’une Cour électorale nationale en Afrique subsaharienne, et surtout francophone. Comme était né au Bénin le concept de la «Conférence nationale souveraine des forces vives», initiée à Cotonou du 19 au 28 février 1990. Quatre mois avant le discours du président français François Mitterrand à La Baule. Et trois mois après la chute du Mur de Berlin. Le Bénin passait pour le «laboratoire de la démocratie» en Afrique. Dans sa thèse, Sory Baldé souligne le rôle important joué par la Fondation Konrad Adenauer et la Fondation Friedrich Ebert. La terminologie béninoise (conférence souveraine, forces vives, CNOE - commission nationale d’organisation des élections) tout comme le déroulé béninois, seront copiés-collés dans de nombreux pays : référendum constitutionnel, 2 décembre 1990 ; élections législatives, 17 février 1991 ; élection présidentielle, 10 et 24 mars 1991. La CENA du Bénin avait été créée le 17 janvier 1995 et installée le 3 février 1995 : se dérouleront sous son égide les élections législatives (28 mars 1995) et présidentielles (17 mars 1996). Pourtant, l’idée de commission électorale serait une lointaine résurgence d’une création ad hoc aux États-Unis, lors de l’élection présidentielle du 7 novembre 1876 qui opposait le Démocrate Samuel Tilden au Républicain Rutherford Hayes. Une vingtaine de voix étaient en jeu pour les départager. Une commission électorale, créée avec la promulgation de la loi du 29 janvier 1877, accordera les voix à Rutherford Hayes, qui remporte l’élection avec 185 voix contre 184. Mais, la démocratie américaine était alors encore jeune. On raconte que les partisans du démocrate Tilden menaçèrent de prendre les armes si leur candidat n’était pas élu. «Tilden ou la guerre !», aurait crié Henry Watterson, parlementaire du Kentucky, avant d’annoncer marcher sur Washington avec une armée de 100.000 hommes si le candidat républicain sortait vainqueur. Reste à espérer que ces moeurs brutales appartiennent définitivement au passé de 1877.
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