Un personnage à la fois dangereux et utile


Si, après le gouvernorat de Joseph Gallieni jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale, les colons des villes vivent dans de bonnes conditions, en brousse, leur situation est différente. C’est dans des conditions souvent très difficiles qu’ils s’efforcent de gérer leurs plantations. Les contacts avec les Malgaches sont permanents. Ces derniers fournissent la main-d’œuvre domestique, celle des travaux agricoles ou des exploitations minières. Autoritaires ou paternels, les Européens de la brousse doivent supporter leur isolement, vaincre les fièvres, s’adapter au comportement du groupe autochtone qui les entoure. « L’emploi des moyens mécaniques n’est guère possible dans la plupart des plantations, en particulier sur la côte Est. Et l’inadaptation des Malgaches au travail salarié, leur résistance plus ou moins passive à l’étranger rendent l’exploitation fort aléatoire. » Selon les auteurs du livre d’histoire de 1967, destiné aux lycéens des classes terminales, « il n’est pas étonnant, dans ces conditions, de constater de nombreux échecs à l’échelon des grandes et des moyennes entreprises. L’ignorance des principes de conservation du sol, de l’entretien des plants, de la gestion rationnelle, explique également la décrépitude des petits planteurs qui s’accentue au lendemain de la première guerre mondiale ». Les historiens mentionnent que dans la brousse, le Vazaha, l’Étranger, apparait à l’autochtone comme « un personnage à la fois dangereux et utile ». Dangereux parce qu’il est souvent « brutal, opiniâtre, exigeant, à peu de frais, un travail sur les terres ». C’est le Vazaha masiaka dont l’autorité « détruit l’ordre traditionnel ». Mais il est, le cas échéant, utile quand l’employeur protège le salarié contre l’« administration incompréhensive ». Finalement, beaucoup de salariés autochtones finissent par abandonner, acceptent le rythme naturel des choses et des gens ou deviennent agents des compagnies commerciales. Au contraire, les salariés asiatiques, « plus capables de patience, moins accessible au découragement, vivant de peu, réussissent là où bien d’autres ont échoué ». Pour conclure ce chapitre sur les colons, les auteurs de l’ouvrage affirment que les conditions difficiles de la mise en valeur expliquent pour une grande part l’évolution de la colonisation et ses défaillances. « L’appétit des concessionnaires parait d’autant plus difficiles à concevoir que les réalisations sont modestes. » Ainsi en 1930, seul le quinzième des terres concédées aux colons est cultivé. « Pour quelques belles réussites comme celle du Sambirano, combien de faillites, à l’échelle des petites et des moyennes exploitations surtout ! » Concernant la situation des Malgaches, les historiens signalent que durant cette période (1905-1939) les recensements effectués à Madagascar sont très imprécis. Cela est dû à la difficulté de mener des enquêtes valables à cause de l’infrastructure d’information. Le premier recensement effectif date de 1900. Les évaluations sont faites de 1904 à 1921, par les fonctionnaires locaux et par le personnel de l’Assistance médicale indigène (AMI). De 1905 à 1939, la population malgache passe de 2 600 000 habitants environ à près de 4 000 000. Ce sont les actions de l’AMI qui expliquent cet accroissement sensible. Louis Chevalier suppose que « la natalité a pu se situer, dans le rapport de trente à quarante pour mille, cependant que la mortalité variait entre vingt et trente pour mille ». Les auteurs de l’ouvrage mettent toutefois en relief «l’instabilité» de la natalité et surtout de la mortalité dans le contexte des endémies et des épidémies. La mortalité infantile est presque deux fois plus élevée à Madagascar qu’en France, vers 1933. Le paludisme, la tuberculose, les affections pulmonaires, la grippe sont les maladies endémiques les plus répandues. La variole qui provoque des ravages considérables, est maitrisée grâce à la vaccination, obligatoire à partir de 1904. Des épidémies de peste ravagent les côtes à partir de 1904, les Hautes-terres en 1921. Les Dr Girard et Robic trouvent le vaccin antipesteux. « Les vaccinations permirent de vaincre ce fléau à partir de 1935. » Mais dans les années 1920, il est également reconnu que l’effet des seuls vaccins testés n’est pas décisif dans cette lutte antipesteuse.
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