Les journalistes submergés par des problèmes de survie


De 1945 à 1956, les hommes de presse qualifiés d’autonomistes par l’historienne Lucile Rabearimanana sont à la fois politiciens (lire précédente Note). Ils sont issus de la bourgeoisie de la capitale et forment un groupe particulier, « original à cause de ses activités politiques pendant cette période mouvementée de l’histoire du nationalisme, de ses conditions d’existence rendues précaires par une administration coloniale utilisant tous les moyens pour neutraliser ses adversaires publiques » (lire précédente). Leur milieu social d’origine, poursuit l’historienne, confère aussi aux journalistes autonomistes une formation intellectuelle poussée pour l’époque. Quel que soit leur niveau scolaire, ils ne cessent de parfaire leur formation par des études personnelles et permanentes, « si bien que la plupart peuvent étaler une large culture occidentale acquise dans les livres et les revues qui leur parviennent ». Elle cite en exemple l’équipe rédactionnelle du Fandrosoam-baovao qui reçoit un certain nombre de revues par échange de son journal. Gazetin’ny Malagasy est aussi abonné au Figaro et à l’Aube… Ainsi, ils acquièrent une large culture occidentale « qui n’est pas sans influencer leur mode de vie et leur idéologie, l’attachement qu’ils témoignent à l’égard de la civilisation occidentale en général, française en particulier ». D’ailleurs, certains jouissent même de la citoyenneté française. Mais « cela ne les empêche nullement de revendiquer l’indépendance de Madagascar ». Lucile Rabearimanana souligne également un trait remarquable qui les unit. Les missions protestantes ont joué un rôle primordial dans leur éducation, étant de familles protestantes comme bon nombre des membres des milieux aisés d’Antananarivo. D’après Belrose-Huyghues dans son ouvrage sur l’ Histoire de la pénétration protestante à Madagascar jusqu’en 1827 (1978), « le protestantisme malgache fut assurément, du moins en Imerina, à l’origine du nationalisme et de la lutte pour l’indépendance. Protestantisme et nationalisme ont su se confondre au début du XXe siècle dans l’esprit des élites de la capitale ». L’historienne nuance cette affirmation en précisant que l’Église protestante en tant qu’institution n’a pas proclamé ouvertement son soutien à la cause de l’indépendance. Cependant, certains pasteurs, Ravelojaona et Johanès Rakoto­vao, entre autres, se sont illustrés par leur participation directe au mouvement d’émancipation. De plus, en Imerina comme en pays betsileo et dans l’Extrême-Sud, les pasteurs ont constitué les cadres du MDRM et du PDM. Ils bénéficient d’une large culture occidentale, certes, mais aucun de ces journalistes autonomistes ne bénéficient d’aucune formation spécialisée. « Ce qui fait l’originalité de leur groupe est ainsi la précarité de leurs conditions d’existence. » La presse ne se diffuse que dans un cadre social et géographique restreint : situation financière déplorable car il est difficile de recouvrer le montant de la vente des exemplaires, insuffisance sinon inexistence des ressources provenant de la publicité. De surcroit, « les saisies de numéros ou les suspensions de parution sont fréquentes entre 1947 et 1956 ». Aussi n’est-il pas étonnant que la grande majorité des journaux soit obligée d’exercer par ailleurs des activités lucratives pour vivre. En fait, ces conditions difficiles sont surtout dues à l’action d’une administration coloniale bien résolue à mater tout mouvement politique favorable à l’autonomie et à l’indépendance. Les journalistes autonomistes sont ainsi « constamment menacés d’arrestation, de poursuites en justice, d’emprisonnement, seuls ceux qui étaient prêts à affronter tout cela osaient se faire journalistes à l’époque » (J. Randriamananjara en 1976, dans Ny gazetin’ny Malagasy sy ny Malagasy vaovao, 1949-1957). Bref, le contexte politique n’est guère favorable à la lutte de l’émancipation du pays : « L’heure est à la répression des nationalistes et les journalistes autonomistes constituent- à côté des membres du MDRM- les premières victimes de celle-ci. » Selon l’historienne, sont appliqués contre les journalistes le décret Cayla « qui réprime les actes et manœuvres de nature à provoquer la haine du gouvernement français » et le décret Coppet de 1947 disposant que « le haut commissaire peut à titre exceptionnel prendre toutes mesures tendant à restreindre la liberté de presse et de réunion… » Texte : Pela Ravalitera - Photo: Agence nationale Taratra
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