Bemiray - « Pour que la mer ne soit plus la limite de notre rizière »


À quel moment de la Préhistoire l’ancêtre de l’homme peut-il être considéré comme « moderne » ? Pour répondre à la question, Tom Andriamanoro se réfère aux processus d’ordre physiologique et culturel. Dans d’autres préoccupations plus actuelles, Bemiray parle de la lutte anti-corruption et du bienfait de la spiruline pour combattre la malnutrition. Préhistoire - L’Homo sapiens, un ancêtre très moderne L’Homo sapiens, d’origine africaine, commence à se répandre sur la planète il y a 100 000 ans. Le monde était alors bien plus « petit » qu’aujourd’hui. Si l’Afrique et l’Eurasie sont déjà un « ancien monde » peuplé depuis des centaines de millénaires par les premières « humanités », les deux Amériques et l’Australie sont encore vierges de toute présence humaine. Et même sur les continents peuplés de longue date, les foyers de peuplement sont très discontinus. [caption id="attachment_62944" align="aligncenter" width="300"] Une partie des dessins préhistoriques dans la grotte de Lascaux (France)[/caption] À cette époque aussi, l’humanité est encore plurielle sur le plan biologique avec divers « rameaux » nés d’un socle commun, dont l’homme de Néandertal en Europe, l’Erectus en Asie, et le Sapiens en Afrique. Ce dernier ne parachève son expansion conquérante qu’il y a 10 000 ans, un très long laps de temps durant lequel se produisent deux processus de longue portée : la réduction de la diversité biologique de l’homme, l’anatomie de l’Homo sapiens prenant définitivement le pas sur les autres formes humaines, et l’apparition de mutations comportementales puissantes comme l’expression à travers les premières œuvres d’art. Pour mieux analyser les liens entre ces processus d’ordre physiologique et culturel, il importe de se demander depuis quand cette humanité dont nous sommes issus peut être considérée comme « moderne », comme osent la qualifier beaucoup de préhistoriens. Malgré leurs différences biologiques, ces diverses humanités sont proches sur le plan comportemental. Elles sont formées de chasseurs-cueilleurs nomades, vivant en groupes restreints, qui s’attaquent à n’importe quel gibier en s’appuyant plus sur une « sociologie » de la chasse très collective que sur la qualité de leurs armements. C’est dans ce contexte que surgissent des préoccupations moins terre-à-terre : parures et expressions graphiques comme, en Afrique, sur les œufs d’autruche ou des petites pierres colorées ornées de motifs géométriques, apparition de sépultures posant, du même coup, la question d’une codification des rapports de l’homme avec la mort, ou celle de la recherche de moyens de communication. Il y a 50 000 ans, la coexistence est toujours de mise entre les différentes formes d’humanité. On ne note guère d’innovation technique substantielle, mais juste de subtiles variations. Mais l’Homo sapiens plus ambitieux et entreprenant que tous les autres parvient en Australie avant même de s’implanter en Europe. Il connaît un accroissement et une dispersion qui dépassent, en nombre et en surface, les frontières du monde connu jusqu’alors. Ligne de partage Le défilement du temps nous amène à il y a 10 000 ans, une période-charnière entre le Paléolithique supérieur et le Mésolithique. Les contours du monde ont été repoussés sur des milliers de kilomètres. À l’exception des Pôles et de certaines îles lointaines, toute la planète est peuplée, tous les environnements sont apprivoisés. Cette expansion qui a fait entrer tous les continents dans l’histoire de l’humanité est l’œuvre de l’Homo sapiens et de lui seul. Toutes les autres formes d’humanité ont disparu, un épisode radical de réduction de la diversité biologique s’est accompli. En revanche, on assiste à une véritable explosion des comportements culturels, cette diversité portant notamment sur la « technologie », dont celle de la taille de la pierre mise au service de toute une panoplie d’instruments, d’outils, et d’armes dont l’inventaire est, aujourd’hui encore, à compléter. De nouveaux matériaux sont employés selon les régions : os, bois de cervidés, coquillages, bambou, ivoire… Les images dessinées sur les parois des grottes ou des abris, un peu partout dans le monde, matérialisent l’apparition d’une multitude d’identités. Aux yeux des préhistoriens, cette peinture réalisée il y a 10 000 ans par des sociétés humaines leur confère une véritable « modernité ». À travers cette expression se trace une ligne de partage entre les sociétés « fossiles » qui n’ont plus de représentant sur la planète, et des populations dont les fondements sociologiques, idéologiques, voire métaphysiques existent ou existaient encore il y a peu. On pourrait citer à titre d’exemple la riche sépulture dite « du jeune homme » découverte en Ligurie (Italie). Il a été enterré avec des ornements et une lame de silex à la main, ce qui était certainement déjà une marque de statut social. Ces sociétés de la fin du Paléolithique sont aussi qualifiées de « premières », en ce sens qu’elles paraissent détenir déjà les caractéristiques d’une universalité de comportements qui s’expriment dans le monde depuis lors, au-delà des différences culturelles. Concernant cette « modernité » du Paléolithique supérieur par rapport aux époques précédentes, des chercheurs n’hésitent pas à parler de véritable révolution. Dans certaines régions du monde, on assiste par exemple à une « explosion » artistique se traduisant par une riche diversification des formes de représentation, témoins de puissantes mutations comportementales. Elle se lit aussi dans le développement sans précédent de la parure corporelle qui se décline de mille façons : dents d’animaux, coquillages travaillés, pendeloques sculptées… On n’oubliera surtout pas cet élément primordial qu’est l’élaboration du langage, que certains qualifient de « libération de la parole ». Rétro pêle-mêle Les Archives Nationales sont un lieu où rien ne se perd. On y rencontre l’inévitable faune de chercheurs et d’étudiants, à laquelle s’ajoutent les abonnés du Journal Officiel, de préférence dans ses versions les plus jaunies. Quant au grand public, l’intérêt lui vient petit à petit, sans forcer, à mesure qu’il se rend compte qu’être un rat de bibliothèque est plus qu’un passe-temps pour désœuvré. On y découvrira, par exemple, que le canal des Pangalanes appelé à désenclaver l’économie rurale du littoral Est fut le plus grand chantier de la colonisation. Il a duré très exactement cinquante ans moins un, puisque commencé en 1897 et terminé en 1946. L’ancien port de Taolagnaro, pour sa part, est un respectable octogénaire né en 1931. L’idée d’un tramway tananarivien remonte, quant à elle, à…1920, comme quoi nos maires et urbanistes des temps modernes ne font que réinventer le fil à couper le beurre dans leurs rêveries. Deux lignes étaient prévues, dont une aurait rallié Fenoarivo à Ambohidratrimo. Ces mêmes années 20 ont permis de caresser trois grands projets ferroviaires tous restés lettre morte : un Mahajanga-Ambatondrazaka, un Antsiranana-Ambilobe, et celui dont on a le plus souvent parlé : l’Antsirabe-Fianarantsoa. Le temps passe, les lubies restent les mêmes… [caption id="attachment_62946" align="aligncenter" width="330"] Quand il était à la tête de l’Afrique du Sud, Thabo Mbeki (à dr.) n’a pas hésité à diligenter une enquête à l’encontre de Jacob Zuma, pour corruption.[/caption] Corruption - Les Scorpions de Thabo Mbeki Madagascar a son Bianco dont beaucoup attendent qu’il fasse ses preuves, surtout dans un contexte qui est tout sauf facile. Est-il ce qu’il souhaiterait, ou prétend être, à savoir un Bureau réellement « indépendant» ? En a-t-il seulement les moyens et la latitude sine qua non ? Où donc commence et où finit ce qui n’est peut-être qu’un vœu pieux ou pire, un faux semblant? Dans nos Républiques où tout remonte au Palais et au bon vouloir de son occupant, le fruit qui pousse le mieux est encore la banane … Toujours est-il que le voisin sud-africain a osé aller plus loin et laver plus propre du temps de Thabo Mbeki, l’anti-Jacob Zuma par excellence. Autant l’un, Mbeki, était un intellectuel austère, que l’on disait distant, autant l’autre, Zuma qui n’a guère fait des études, était un tribun populiste et démagogue apprécié des masses. En 1999 déjà, il était soupçonné d’avoir touché quelque 2,5 millions de rands dans le cadre d’un contrat d’armes. Très porté également sur la bagatelle, il fut l’objet d’un procès pour viol en 2005, mais c’était sans compter sur sa formidable capacité de rebondir. Jouant à merveille le rôle de martyr, il se dit victime d’un complot orchestré par son ennemi juré… Thabo Mbeki. Et beaucoup ne demandèrent qu’à le croire. [caption id="attachment_62947" align="aligncenter" width="368"] Il reste à prouver que le Bianco est bien « indépendant ».[/caption] Intouchables Dans sa croisade contre la corruption, Thabo Mbeki voulait du mordant, et on ne s’étonna pas s’il donna le nom de « Scorpions » à son… Bianco. Il voulait en faire une sorte de FBI à l’africaine, sous l’autorité directe du Procureur général. Les Scorpions purent bénéficier d’une relative indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics, ce qui leur permit, neuf ans après leur création, de mener à bien plus de mille cinq cents enquêtes et d’engager des poursuites contre une trentaine de députés de l’ANC qui se croyaient intouchables, dont le chef de leur groupe parlementaire. Sa témérité de trop était peut-être l’enquête qu’il n’hésita pas à diligenter contre Jacob Zuma en personne. Accusés d’être à la solde de l’ancien Président, les Scorpions se retrouvèrent au centre de débats enflammés pour ou contre leur démantèlement. Si les pro-Thabo Mbeki insistaient sur leur efficacité, les partisans de Jacob Zuma, au contraire, parlaient d’un « monstre à abattre ». Leonard Mac Carthy, patron des Scorpions, se vit nommé à la tête de la division anti-fraude de la Banque mondiale, ce qui ne manqua pas de susciter certaines interrogations. Quant à Thabo Mbeki, il fut poussé à la porte alors qu’il était déjà en fin de mandat. Une sortie imméritée pour un technocrate dont le nom a été, avec celui du ministre des Finances Trevor Manuel, associé aux performances économiques de la Nation Arc-en-ciel. Mais « Andriamanitra tsy andrin’ny hafa… » il était déjà écrit que le triomphe de Jacob Zuma aurait une fin. Tôt ou tard. Santé publique - Un produit-miracle, la spiruline À Madagascar, on a la fâcheuse manie d’avoir une vision réductrice des choses. Celle, par exemple, de ne voir dans tel produit que l’exclusivité d’un dispensaire qui l’utilise plus que les autres. Tout faux ! Baptisée Cyanobactérie Arthrospira Platensis par les scientifiques, la spiruline est une micro-algue qui croît dans les eaux saumâtres des régions tropicales, mais peut aussi être cultivée facilement en ferme. C’est le cas au Burkina Faso où, après le lancement de fermes-pilotes, le gouvernement s’était engagé, il y a plusieurs années de cela, dans un vaste projet de santé publique. Avec son exceptionnelle teneur en protéines, acides aminés, vitamines, acides gammalinoléiques et oligo-éléments directement assimilables, déjà connue des Aztèques, la spiruline peut être la solution à même de transformer le quotidien de certaines populations malnutries de la planète. Même la Nasa américaine compte l’utiliser dans les missions de longue durée comme le retour sur la lune prévu cette année, ou plus tard les vols sur Mars. Sur la spiruline reposera, en grande partie, la survie des équipages. Dans toute l’Afrique occidentale, l’engouement pour la spiruline a fait tache d’huile au Bénin, au Mali, au Niger, au Sénégal. En Amérique du Sud au Chili, des universitaires de Santiago ont obtenu une aide gouvernementale et exploitent la spiruline dans les points d’eau du désert de l’Atacama. Même la France a une station à vocation pédagogique en Camargue. Quand on sait que le monde compte actuellement des centaines de millions de personnes sous-alimentées supplémentaires, on peut avoir une idée de ce que peut représenter ce produit-miracle qui se cultive presque naturellement. La spiruline est déjà connue et récoltée dans des localités de notre Grand Sud régulièrement victime de malnutrition. Mais au lieu d’être affectée à des besoins vitaux communautaires dans une région qui en a bien besoin, elle est plutôt acheminée vers les grandes villes. En période de kéré, les enfants au ventre gonflé n’ont plus que les fruits de cactus à sucer pour tromper la faim. Comprenne qui pourra. [caption id="attachment_62948" align="aligncenter" width="300"] Vincent Roux, surveille ses bassins artificiels qui brassent l’algue microscopique, la spiruline aux vertus nutritives de plus en plus prisées.[/caption] Lettres sans frontières Victor Hugo In Les Contemplations Éclaircie L’océan resplendit sous sa vaste nuée, L’onde, de son combat sans fin exténuée, S’assoupit et, laissant l’écueil se reposer, Fait de toute la rive un immense baiser, On dirait qu’en tous lieux, en même temps, la vie Dissout le mal, le deuil, l’hiver, la nuit, l’envie, Et que le mort couché dit au vivant debout : Aime ! Et qu’une âme obscure, épanouie en tout, Avance doucement sa bouche vers nos lèvres. L’être, éteignant dans l’ombre et l’extase ses fièvres, Ouvrant ses flancs, ses seins, ses yeux, ses cœurs épars, Dans ses pores profonds reçoit de toutes parts La pénétration de la sève sacrée. La grande paix d’en haut vient comme une marée, Le brin d’herbe palpite aux fentes du pavé ; Et l’âme a chaud. On sent que le nid est couvé. L’infini semble plein d’un frisson de feuillée. On croit être à cette heure où la terre éveillée Entend le bruit que fait l’ouverture du jour, Le premier pas du vent, du travail, de l’amour, De l’homme, et le verrou de la porte sonore, Et le hennissement du blanc cheval aurore. Le moineau d’un coup d’aile, ainsi qu’un fol esprit, Vient taquiner le flot monstrueux qui sourit ; L’air joue avec la mouche et l’écume avec l’aigle ; Le grave laboureur fait ses sillons et règle La page où s’écrira le poème des blés ; Des pêcheurs son là-bas sous un pampre attablés ; L’horizon semble un rêve éblouissant où nage L’écaille de la mer, la plume du nuage, Car l’Océan est hydre et le nuage oiseau. Une lueur, rayon vague, part du berceau Qu’une femme balance au seuil d’une chaumière, Dore les champs, les fleurs, l’onde, et devient lumière En touchant un tombeau qui dort près du clocher. Le jour plonge au plus noir du gouffre, et va chercher L’ombre, et la baise au front sous l’eau sombre et hagard Tout est doux, calme, heureux, apaisé ; Dieu regarde. Textes : Tom Andriamanoro Photos : Archives de l’Express de Madagascar - AFP
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