Grossir le trait


Preuve qu’il n’y a pas que le foot, même en période de Coupe du Monde, j’ai suivi les 24 Heures du Mans, en endurance automobile. C’est dire l’effet d’attraction que peut susciter la participation d’un double champion du monde de Formule 1 dans une discipline qui, sinon, me serait restée aussi lointaine que les fois précédentes. Au volant d’une Toyota hybride, et avec ses deux autres coéquipiers qu’il n’est pas dans mon propos de retenir les noms, l’Espagnol Fernando Alonso a donc participé à la première victoire au Mans de l’écurie japonaise Toyota. Il est rentré, par la même occasion dans le cercle restreint de ceux qui avaient pu être sacrés en Formule 1, surtout victorieux au Grand Prix de Monaco, et triompher ensuite aux 24 Heures du Mans ou gagner les 500 Miles d’Indianapolis. À ce jour, seul Graham Hill a réussi la «Triple Couronne» : Monaco, Mans, Indianapolis. Fernando Alonso est talentueux mais, depuis plusieurs saisons, desservi par la mécanique poussive d’une écurie autrefois prestigieuse malheu­reusement rentrée dans le rang. Sa démarche d’aller voir ailleurs semble donc naturelle, légitime, sympathique. Sur les douze éditions précédentes, Audi en avait remporté huit totalisant treize succès en dix-sept ans. Une «routine» qui n’a jamais découragé Toyota, encore bloquée lors des trois dernières éditions par Porsche, un autre représentant du groupe Volkswagen. Signalons que Volkswagen et Toyota, les deux plus grands constructeurs automobiles actuels au monde, sont les fleurons de deux pays, l’Allemagne et le Japon, annihilés et écrasés en 1945 mais qui, en seulement un quart de siècle, avaient retrouvé leur vigueur industrielle d’avant-guerre. Après vingt participations sans succès, voilà donc Toyota enfin récompensée de sa persévérance. Cliché sans doute, mais on aime voir dans cette ténacité un trait japonais. La chronique de la bataille du Pacifique en compte plusieurs épisodes, jusqu’au tragique de suicides collectifs pour l’honneur. Les soldats allemands avaient également été enjoints par Adolf Hitler de «ne pas céder un seul pouce de terrain», mais ç’avait été pour se laisser enfermer dans le piège mortel de Stalingrad. Pour grossir un peu plus encore le trait, et que si je me détourne d’un match de foot qui met mes nerfs et ma santé mentale à rude épreuve, ça ne m’empêche pas de déguster tranquillement un documentaire sur l’histoire de la Coupe du Monde de football. La finale de l’édition 2002 s’était jouée dans le stade Nissan (pas Toyota) de Yokohama, au Japon. Présentée comme l’Himalaya du football, cette finale entre le Brésil et l’Allemagne fut surtout un duel entre le meilleur attaquant de l’époque, le Brésilien Ronaldo, et le meilleur gardien de buts, Oliver Kahn. Irréprochable avant la finale, Kahn allait malencontreusement relâcher une balle dans les pieds de l’attaquant brésilien, précipitant la défaite de l’Allemagne. J’aime retenir le commentaire d’un journaliste japonais présent ce jour-là : «Tandis que le monde entier n’avait d’yeux que pour les vainqueurs, disait-il, notre mentalité japonaise nous inclinait à regarder Kahn. Une si belle défaite fascinait»... Cliché au trait volontiers grossi.
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