Footus d’avance


Les pères de famille (fête des pères oblige) n’ont, à ma connaissance, jamais démenti ce vieux cliché qui les montre, une canette de bière dans une main, les yeux remplis d’images renvoyées par la télé qui diffuse un grand match de foot. Il y a, bien sûr, quelques exceptions qui confirment la règle. Qui peut nier le pouvoir d’accaparement de la coupe du monde de football, son ascendant qui lui fait voler la vedette aux autres ? Même certains footophobes, qui endurent une ingurgitation forcée de ce sujet du moment, finissent par être sous son emprise. La déception a peut-être été au rendez-vous chez ceux qui ne connaissent du foot que les shoots qui semblent venir d’une autre planète de Tsubasa Ozora ou de Kojiro Hyuga ; les arrêts spectaculaires de Ken Wakashimazu qui auraient été, et de loin, de meilleurs arrêts que celui de Gordon Banks face à Pelé en 1970, les actions d’éclat du gardien Genzō Wakabayashi, et autres exploits surréalistes qu’on ne trouve que dessinés par Yōichi Takahashi sur les planches du shōnen Captain Tsubasa (Olive et Tom pour les franco­phones) et non réalisables dans les stades de la planète Terre ou sur nos rizières qui font office de terrain. Les véritables fanatiques du ballon rond connaissent les différentes histoires qui ont forgé la légende de cette compétition : de sa création par Jules Rimet au licenciement spectaculaire de Julen Lopetegui, en passant par le drame national de Maracana de 1950 qui a fait taire tout un stade et tout un peuple, la « bataille de Santiago » de 1962 qui a opposé Chiliens et Italiens, l’Algérie victime du « match de la honte » de 1982, la « main de Dieu » ou plutôt celle de Maradona en 1986 suivie, quelques minutes plus tard, du « but du siècle » du même Maradona, la tête de Zidane qui, en finale, est capable du meilleur (1998) comme du pire (2006),… Mais même si la coupe du monde est aussi riche en anecdotes que Crésus l’était en or, le football malgache n’a jamais pu apporter sa contribution à cette richesse. Une simple qualification de notre équipe nationale et on se retrouverait tous, amateurs de foot ou non, pour la première fois depuis des années que les crises se sont succédé et ont divisé plus que jamais notre pays, derrière un même drapeau : l’exploit aurait alors rendu jaloux le CFM et la communauté internationale. Et qui sait, l’équipe aurait peut-être pu prétendre au prix Nobel de la paix. Les différends qui minent nos vies actuellement auraient été apaisés, le temps d’une compétition. Mais comment envisager une qualification quand le sport malgache est dans un piètre état ? Laissé à l’abandon par les responsables étatiques, le sport malgache demeure ce triste orphelin dépourvu d’appui puissant. Pourtant, dans un pays comme le nôtre où le football est quand même roi, ce ne sont sûrement pas les talents qui font défaut : ils sont seulement captifs d’un environnement et d’un contexte hostiles à leur éclosion. Parmi ces laissés pour compte qui s’évadent de leur vie précaire en savourant le plaisir que le contact du ballon (parfois artisanal) peut procurer, se trouvent ceux qui ont le potentiel d’un Pelé, d’un Maradona, d’un Cristiano Ronaldo ou d’un Messi qui ont tous connu le même type d’enfance de misère. Ces talents qui restent en puissance et qui ne seront, si on n’y change rien, jamais en acte, peuvent s’approprier la célèbre réplique de Marlon Brando dans Sur les quais (E. Kazan, 1954) : « You don't understand. I coulda had class. I coulda been a contender. I coulda been some­body, instead of a bum, which is what I am » (« Tu comprends pas ! J'aurais pu avoir de la classe, j'aurais pu être un champion. J'aurais pu être quelqu'un au lieu de n'être qu'un tocard, ce que je suis. »). Comme la professionnalisation, et avec elle l’apparition de centres de formation décents, relève encore du rêve au même titre que celui dans lequel on entend retentir notre hymne national dans un stade de Moscou, de Saint-Pétersbourg, de Iekaterinbourg…, on pourrait peut-être faire venir un recruteur du FC Barcelone, du Real Madrid de l’Ajax Amsterdam, de Manchester United ou d’autres clubs réputés pour leur académie, pour qu’il observe un de nos fameux matches joués sur les rizières. On aurait alors des joueurs formés à la Massia, l’école où de grands noms comme Iniesta, Xavi ou Messi ont tout appris, ou à la Fabrica du Real Madrid,…. Mais en attendant d’avoir une équipe de qualité, à quoi bon jouer les phases éliminatoires d’une coupe du monde avec un effectif dont les « meilleurs » éléments viennent des divisions inférieures des championnats européens ? Et oui, dans cette épreuve on est toujours…footus d’avance. par Fenitra Ratefiarivony
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