Figaro, Figaro, Figaro !


Le Figaro, fondé en 1826, est le plus ancien journal français en activité. Devenu quotidien le 16 novembre 1866 (l’année de la parution du premier journal malgache), Le Figaro s’assume comme un journal d’opinion. Sa rédaction avait pris la défense de l’accusé dans l’affaire Dreyfus au début du XXe siècle. Replié en Zone libre après la défaite de la France en 1940, Le Figaro décide de se saborder le 11 novembre 1942 pour ne réapparaître que le 23 août 1944, après le débarquement allié en Normandie. Durant les troubles de mai 1968, Le Figaro avait salué la reprise en main opérée par le général de Gaulle, concrétisée par la contre-manifestation du 30 mai : «De la Concorde à l’Étoile, plus de 600.000 manifestants, le refus de l’anarchie». En interne, les rédacteurs du Figaro n’hésitent pas à s’opposer au propriétaire pour la défense de l’indépendance éditoriale du journal. L’héritage des meilleures «plumes» françaises, ayant apporté leurs contributions dans ses colonnes (Balzac, Baudelaire, Zola, Valéry, Duhamel, Mauriac, Claudel, Gide, Aragon) n’est sans doute pas étranger à cet orgueil. En 1965, Raymond Aron prend la tête de la fronde qui s’oppose à la présence effective du propriétaire du journal au sein de la rédaction. En mai 1969, quand le bail de la Société fermière arrive à échéance, les journalistes du Figaro se mobilisent pour défendre l’indépendance de la rédaction et le journal se met en grève pour trois semaines. En février 2012, les journalistes de la SDJ (société des journalistes du Figaro) avaient dénoncé en Une du «Figaro Magazine» un Nicolas Sarkozy en mode affiche de campagne : «Un journal d’opinion n’est pas le bulletin d’un parti, d’un gouvernement ou d’un président de la République». À quoi le Directeur des Rédactions, Étienne Mougeotte, répondit : «Le Figaro est un journal d’opinion de droite : les lecteurs le savent, les journalistes aussi». Quand l’industriel Serge Dassault (mort 28 mai 2018) devint propriétaire du Figaro en 2004, son interventionnisme dans la ligne éditoriale du journal valut polémique en interne et railleries des titres rivaux. Le Figaro veut donc moins faire la publicité d’un personnage qu’il s’efforce de défendre une certaine idée de la société. À l’occasion des 140 ans du quotidien, un colloque avait été organisé, du 21 au 23 septembre 2007, au Centre d’histoire de Sciences Po. À cette occasion, l’universitaire Alain-Gérard Slama développa le thème du «Le Figaro ou l’éclectisme libéral» : «Le Figaro a fidèlement représenté la partie majoritaire des élites libérales «orléanistes» sincèrement ralliées à la République par attachement à son système méritocratique (...) opposition à la Commune, au Parti communiste, au socialisme du Front populaire, à mai 1968, comme aux archaïsmes du PS (...) Cet éclectisme libéral n’est pas seulement politique. Il se manifeste aussi dans le rôle de plaque tournante du paysage intellectuel, littéraire et artistique que le journal a assumé depuis ses origines, et qui relève du désir de retenir le durable dans l’éphémère. (...) En ce sens, Le Figaro est le quotidien antimarxiste par excellence. Il a choisi, dès le départ, de séparer la politique de la culture et de comprendre la société par le biais de la culture, alors que l’approche marxiste regarde la culture à travers le prisme des rapports économiques et sociaux». «Sans liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur» est la devise du quotidien Figaro. Ces mots sont repris d’une réplique de Figaro, personnage de Beaumarchais, dans une comédie, «Le mariage de Figaro», écrite en 1778. On analyse cette comédie comme une satire annonciatrice de la Révolution de 1789 dans sa dénonciation des mœurs de l’Ancien Régime. La cécité des puissants, des privilégiés, des célébrités, leur a souvent été fatale. Je me demande si ceux dont la photo s’affiche en gros plan de Une, affublée d’un encore plus gros titre complaisant, croient réellement berner un public averti. Quand on lance une grenouille dans une eau chaude, elle s’empresse de sauter pour s’en échapper. Mais, quand on chauffe progressivement l’eau de sa marmite, elle se regardera mourir sans s’en rendre compte. Les mots complaisants sont à Ego ce que le feu doux est au batracien : mortels. Et ceux qui les leur susurrent, à l’oreille ou à la Une des journaux, sont les pires des assassins : des traîtres.
Plus récente Plus ancienne