Quel mérite peut-on attribuer aux romans de John Grisham, aux films comme Le pont des espions (S. Spielberg, 2015), Philadelphia (J. Demme, 1993) ou l’intemporel Douze hommes en colère (S. Lumet, 1957) ? Ils ont réussi à nous faire aimer le monde juridique. Immergés dans l’ambiance d’un procès, on éprouve, le temps d’un film ou d’un livre, une certaine affection pour l’univers du tribunal. Un sentiment que notre univers judiciaire, qui se ferme dans une sorte d’ésotérisme, hermétiquement isolé du peuple, ne réussira pas à nous transmettre même avec des remakes malgaches des films sus-cités. Essayez seulement d’imaginer une œuvre vidéographique (le cinéma malgache étant encore inexistant) avec un univers quasi-confiné dans un tribunal malgache : ce serait une production barbante. Mais comment expliquer que, sous d’autres cieux, le genre juridique puisse marcher ? Aux États-Unis, l’institution judiciaire, diamétralement opposée à la nôtre, entretient une relation populaire : elle est d’une grande accessibilité, contrairement à chez nous où les acteurs de la justice sont perçus comme des individus distants, séparés du commun des mortels par le pouvoir de la robe et qui sont entachés d’une mauvaise réputation qu’ils n’ont pas réussi à laver : ils seraient les instruments, les boucs émissaires de la justice partiale de l’État. Des relents de corruption qui portent un coup fatal à une image fortement ternie. Quand chez nous le juge et le procureur sont des fonctionnaires anonymes, ils sont, aux États-Unis, des personnages publics, élus pour la plupart des États fédérés. Ainsi s’explique la réussite de la recette des productions américaines qui prennent comme principal ingrédient le monde judiciaire : on se délecte des plaidoiries des substituts du procureur de New York District, des avocats de Suits,… Si des figures juridiques américaines, comme le « juge » Roy Bean qui a donné du fil à retordre à Lucky Luke dans Le juge (Morris & R. Goscinny, 1957), sont entrées dans la légende, elles le doivent à cette interaction sociale créatrice de lien. Le droit, sous cette forme démocratique, est alors la propriété du peuple. Alors que, malgré les bonnes volontés de certains, aucun gouvernement n’a réussi à remporter le défi lancé contre la corruption qui gangrène notre système judiciaire, l’institution judiciaire malgache qui, en théorie, détient le monopole du droit traverse une grave crise : différents verdicts controversés ont porté atteinte à sa crédibilité. Écarté de l’univers des « justiciers », ne se reconnaissant pas dans les différentes décisions prononcées par les gens de robe qui sont inaptes au port de la figure héroïque de leurs collègues américains, le peuple a alors tendance à appliquer sa « justice ». Devrait-on encore s’étonner que certains aient une préférence pour ce tribunal de rue qu’on appelle justement « justice populaire » ? Pour expliquer notre situation précaire actuelle, notre tendance à copier ce qui se fait dans les démocraties occidentales, mais inapproprié pour notre cas, est souvent mise sur le banc des accusés. On attaque les différentes lois en vigueur, la Constitution qu’on dit non compatibles avec la philosophie malgache. Qu’en est-il alors de ce système juridique importé de France ? Si la justice populaire a autant la côte, c’est parce que, pour une partie considérable de la population, c’est une manière de combler la frustration consécutive à cette impression de verdicts achetés dans les tribunaux légaux. La crise de confiance qui en résulte n’est-elle pas le signe que penser à une autre forme de justice, plus adaptée à la situation actuelle, est plus que jamais pertinent ? Une réforme au niveau du système judiciaire pour instaurer un lien populaire serait-elle la solution ? Ne devrait-on pas élire les juges pour garantir leur légitimité et leur indépendance ? À noter pour finir, que les citoyens américains sont des agents actifs du droit à travers leur participation au jury populaire, présent dans presque tous les procès. Par Fenitra Ratefiarivony
Quel mérite peut-on attribuer aux romans de John Grisham, aux films comme Le pont des espions (S. Spielberg, 2015), Philadelphia (J. Demme, 1993) ou l’intemporel Douze hommes en colère (S. Lumet, 1957) ? Ils ont réussi à nous faire aimer le monde juridique. Immergés dans l’ambiance d’un procès, on éprouve, le temps d’un film ou d’un livre, une certaine affection pour l’univers du tribunal. Un sentiment que notre univers judiciaire, qui se ferme dans une sorte d’ésotérisme, hermétiquement isolé du peuple, ne réussira pas à nous transmettre même avec des remakes malgaches des films sus-cités. Essayez seulement d’imaginer une œuvre vidéographique (le cinéma malgache étant encore inexistant) avec un univers quasi-confiné dans un tribunal malgache : ce serait une production barbante. Mais comment expliquer que, sous d’autres cieux, le genre juridique puisse marcher ? Aux États-Unis, l’institution judiciaire, diamétralement opposée à la nôtre, entretient une relation populaire : elle est d’une grande accessibilité, contrairement à chez nous où les acteurs de la justice sont perçus comme des individus distants, séparés du commun des mortels par le pouvoir de la robe et qui sont entachés d’une mauvaise réputation qu’ils n’ont pas réussi à laver : ils seraient les instruments, les boucs émissaires de la justice partiale de l’État. Des relents de corruption qui portent un coup fatal à une image fortement ternie. Quand chez nous le juge et le procureur sont des fonctionnaires anonymes, ils sont, aux États-Unis, des personnages publics, élus pour la plupart des États fédérés. Ainsi s’explique la réussite de la recette des productions américaines qui prennent comme principal ingrédient le monde judiciaire : on se délecte des plaidoiries des substituts du procureur de New York District, des avocats de Suits,… Si des figures juridiques américaines, comme le « juge » Roy Bean qui a donné du fil à retordre à Lucky Luke dans Le juge (Morris & R. Goscinny, 1957), sont entrées dans la légende, elles le doivent à cette interaction sociale créatrice de lien. Le droit, sous cette forme démocratique, est alors la propriété du peuple. Alors que, malgré les bonnes volontés de certains, aucun gouvernement n’a réussi à remporter le défi lancé contre la corruption qui gangrène notre système judiciaire, l’institution judiciaire malgache qui, en théorie, détient le monopole du droit traverse une grave crise : différents verdicts controversés ont porté atteinte à sa crédibilité. Écarté de l’univers des « justiciers », ne se reconnaissant pas dans les différentes décisions prononcées par les gens de robe qui sont inaptes au port de la figure héroïque de leurs collègues américains, le peuple a alors tendance à appliquer sa « justice ». Devrait-on encore s’étonner que certains aient une préférence pour ce tribunal de rue qu’on appelle justement « justice populaire » ? Pour expliquer notre situation précaire actuelle, notre tendance à copier ce qui se fait dans les démocraties occidentales, mais inapproprié pour notre cas, est souvent mise sur le banc des accusés. On attaque les différentes lois en vigueur, la Constitution qu’on dit non compatibles avec la philosophie malgache. Qu’en est-il alors de ce système juridique importé de France ? Si la justice populaire a autant la côte, c’est parce que, pour une partie considérable de la population, c’est une manière de combler la frustration consécutive à cette impression de verdicts achetés dans les tribunaux légaux. La crise de confiance qui en résulte n’est-elle pas le signe que penser à une autre forme de justice, plus adaptée à la situation actuelle, est plus que jamais pertinent ? Une réforme au niveau du système judiciaire pour instaurer un lien populaire serait-elle la solution ? Ne devrait-on pas élire les juges pour garantir leur légitimité et leur indépendance ? À noter pour finir, que les citoyens américains sont des agents actifs du droit à travers leur participation au jury populaire, présent dans presque tous les procès. Par Fenitra Ratefiarivony