Comique tragique à Mahamasina


Bal tragique à Colombey : un mort» avait osé titrer «Hara-Kiri Hebdo» à la mort du général de Gaulle, en novembre 1970. «Score tragique à Mahamasina : un mort» jouait des mots la Une de L’Express de Madagascar, au lendemain du match Madagascar-Sénégal. Mais, c’était bien un match de foot ? À Mahamasina (Antananarivo, 1 mort), ce 9 septembre 2018 ; au Heysel (Bruxelles, 39 morts), le 29 mai 1985 ; à Hillsborough (Sheffield, 96 morts), le 15 avril 1989, c’était bien un match de foot ? À la feria de Dax, on grâcie même les taureaux... Malgré ce drame que, jeune télespectateur, j’avais pu vivre en direct, l’UEFA (confédération européenne de football) avait décidé de faire jouer le match (pour l’anecdote, Michel Platini marqua sur pénalty l’unique but d’une finale de C1, ancêtre de la Ligue des Champions, que la Juventus de Turin gagna contre Liverpool), une fois les victimes exfiltrées vers les hôpitaux ou la morgue. Cependant, en Europe, il y eut un avant, et un après Heysel. Les clubs anglais, dont les Hooligans figuraient parmi les aficionados les plus violents au monde, au point que leur nom devint le générique du vandalisme dans et autour des enceintes sportives, furent purement et simplement bannis de toutes les compétitions européennes, pour cinq ans, jusqu’en 1990. À Mahamasina, ce 9 septembre 2018, il ne s’agissait pas de hooliganisme. Mais d’un bête problème du tiers-monde : combien de spectateurs peuvent accueillir les gradins et tribunes de Mahamasina (les «pelouses», derrière les buts, ont disparu depuis la dernière fois que j’y mis les pieds) et combien de billets furent-ils mis en vente ? Un surbooking, éventuellement, peut-être ? Organiser un évènement, ce n’est pas seulement du boulot, c’est un métier. Organiser la billeterie, c’est un métier. Organiser les files d’accès à un stade de plusieurs milliers de places, c’est un métier. Ce triple professionalisme était-il au rendez-vous à Mahamasina ? Ou bien fait-on comme pour les taxibe : embarquer à bord de véhicules de transport en commun dont on se doute que les freins pourraient lâcher à tout moment, sans savoir si c’est bien le chauffeur, et non son receveur, qui a pris le volant, et sans aucune garantie non plus que le trajet convenu soit strictement respecté mais pas amputé par un raccourci «antsasa-dalana» ? Le degré zéro du professionalisme ! «On april 15th 1989, over 24.000 Liverpool supporters travelled to Sheffield for a football match. 96 fans never came home». Le 15 avril 1989, plus de 24.000 supporters de Liverpool firent le voyage de Sheffield pour assister à un match de football : 96 fans ne revinrent jamais chez eux. C’est ça le football ? Liverpool contre Nottingham Forest : 95 morts, et un 96ème des suites de ses blessures, un an et demi plus tard, lors des prolongations en quelque sorte, pour rester dans la tonalité de la Une satirique. Ce drame allait mettre en évidence la vétusté du stade de Hillsborough, inauguré le 2 septembre 1899. Depuis, les places assises ont été généralisées, la vidéo-surveillance introduite, le prix d’entrée revu à la hausse pour dissuader les plus pauvres dont on estime qu’ils sont les plus frustrés et donc les plus volontiers violents. Il y a 30 ans, les gens avaient commencé à réfléchir : sanctionner les jets de projectiles, endiguer les envahissements de terrain, interdire l’alcool dans les stades. Les jours de match international à l’étranger, les hooligans étaient même interdits de sortie du territoire, se voyaient retirer leur passeport, et devaient pointer au commissariat le plus proche de leur domicile. Hasard du calendrier, mais en même temps que se produisait ce drame de Mahamasina, le commissaire de police responsable du dispositif de sécurité de ce 15 avril 1989 était jugé, près de 30 ans après les faits. La police anglaise est accusée de ne pas avoir fermé un tunnel d’accès permettant une arrivée massive de supporters. Mais, revenons à Mahamasina. Les images qui circulent sur les réseaux sociaux sont honteuses. Les gradins du stade ressemblent à d’immenses toilettes à ciel ouvert. Certaines personnes racontent que les spectateurs malgaches pouvaient jeter des bouteilles remplies d’urine sur les joueurs des équipes étrangères. Et jamais aucune sanction. Le président de la CAF (confédération africaine de football) est Malgache. La secrétaire générale de la FIFA (fédération internationale de football) est une Sénégalaise qui a longtemps représenté le système des Nations Unies à Madagascar : Monsieur, Madame, prenez les mesures appropriées et faites que ne soit pas inutile la mort de cet anonyme, dont personne n’a fait cas, tout le monde s’attardant sur «l’exploit» d’avoir fait match nul avec le Sénégal. Un entraîneur étranger s’était un jour étonné de l’attitude du public malgache. Ailleurs, disait-il, quand un joueur rate sa frappe, tout le monde le siffle. À Madagascar, les spectacteurs rigolent. Comique tragique à Mahamasina. Post-scriptum : Dès le mardi 17 novembre 1970, le ministre français de l’Intérieur faisait interdire Hara-Kiri Hebdo. Une semaine plus tard, l’équipe, emmenée par Cavanna, relançait l’aventure «bête et méchante» par la création de Charlie-Hebdo. Ce numéro de Hara-Kiri du lundi 16 novembre 1970, devenu collector, est actuellement mis à prix à 200 euros. Il coûtait 1,50 Francs à l’époque.
Plus récente Plus ancienne