Auto-psy


Il doit y avoir, là, quelque chose de freudien. Alors que la Coupe du monde de football s’achève par un cocorico très français, conjugué à tous les temps de tous les modes surtout très longtemps, et que je me désole des prochains accents de chauvinisme gaulois, le Tour de France continue de nous enchanter de charmants paysages bucoliques et de nous promener aux environs de villages pittoresques heureusement préservés dans leur caractère et leur authenticité. Ou comment détester le parti-pris Larqué-Roland (ah, on en aura entendu parler des poteaux carrés de Glasgow de 1976), et se passionner pour un duel Armstrong-Ulrich tant qu’il se déroule sur fond de carte postale d’un «cher et vieux pays». Encore : comment s’irriter presque épidermiquement d’entendre partout répéter, «la plus belle avenue du monde», à propos des Champs-Élysées, mais apprécier sans modération la cochonaille et le fromage d’un pays dont le «repas gastronomique» a été reconnu par l’UNESCO comme représentatif du patrimoine culturel immatériel de l’Humanité (Nairobi, Kénya, novembre 2010). Quelque chose de freudien, vraiment. Si j’avais étudié l’allemand, sans que rien, ni dans l’inné ni dans l’acquis, ne m’y prédispose, n’était-ce pas en esprit de contradiction à l’encontre du raidissement instinctif de mon grand-père, ancien fonctionnaire de l’administration coloniale, dès qu’il entendait une bribe de Marseillaise, à regarder Saint-Étienne («Allez les Verts, Allez») ? J’avais un grand-oncle qui fit la guerre mondiale aux côtés des Français : comme des milliers d’autres de ses camarades, il fut alors contaminé par la haine séculaire de part et d’autre du Rhin : il est tout de même singulier que les Allemands, qui n’ont jamais porté les armes contre Madagascar, soient la seule population étrangère affublée d’un sobriquet («Rainiboto») dont on doit la caricature à la fréquentation assidue des Français. La seule alternative aux «perdants magnifiques» de 1976 (Saint-Étienne) ou de 1982 (la France de Séville) était le «Foot Made in Germany», nous rendant familiers le (vrai) Kaiser Beckenbauer, les coups-francs «banane» de Manfred Kaltz ou la «brute» Harald Schumacher. Plus en amont, j’avais découvert les rudiments de la deuxième guerre mondiale à la lecture de bandes dessinées petit format de type Akim ou Zembla : pourquoi donc adolescent allais-je me passionner pour l’Afrikakorps de Rommel, les Fallschirmjäger de Crête ou de Monte-Cassino, voire les Panzers de la bataille de Koursk, sinon pour venger, par procuration et par un obscur processus psychologique, la lointaine débandade de nos troupes en 1895, l’enrôlement des miens dans une guerre qui n’était pas la nôtre (14-18), l’occasion manquée à profiter du débarquement britannique de 1942 contre les troupes de Vichy de Madagascar... Les jérémiades chauvines du tandem Larqué-Roland à propos de l’injuste défaite de Saint-Étienne contre le Bayern en 1976, plutôt que de m’apitoyer, ne firent que mieux me désigner l’ami, ennemi de mon ennemi. Même 36 ans plus tard, je ne suis pas plus ému que ce soir de direct à regarder le «contact» entre le gardien allemand Harald Schumacher et le défenseur français Patrick Battiston. Oui, il y a là quelque chose de freudien. La France, mon étrangère intime. Les Contemplations de Hugo, la Provence de Pagnol, l’exception culturelle du village d’irréductibles Gaulois...
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