Société - Un grand problème social dans le Sud - Le mariage précoce, une entorse aux droits des fillettes


Dans l’Anosy, comme dans quelques régions de l’ile, l’avenir de certains enfants est en danger. Le mariage d’adolescentes de moins de 18 ans, qui touche même des fillettes de moins de 10 ans, est encore pratiqué, et tend même à s’intensifier. Cela s’expliquerait par la paupérisation des familles qui voient dans cette coutume, un moyen de survie. Une situation qui constitue un grand obstacle au développement personnel de l’adolescent et de l’enfant, et freine leurs chances d’avoir un avenir meilleur. Financé par le Fonds coréen de développement, un programme de réintégration scolaire entre l’Unicef et le gouvernement malgache, veut y remédier. [caption id="attachment_74674" align="alignleft" width="300"] Le CEG de Behara bénéficiaire du cours de remise à niveau ou CRAN.[/caption] Pauvreté oblige. Cette catastrophe naturelle et les difficultés économiques qu’elle entraine dans le Sud, notamment dans l’Anosy, poussent les parents à marier leurs enfants, surtout les adolescentes et mêmes les filles de moins de 10 ans. Pour eux, ce serait le seul moyen d’assurer leur survie et même celle de leurs enfants. Car ce genre d’union coutumière contractée avec des hommes, en général des adultes qui ont eu le temps de s’enrichir, rapporte à la famille une dot conséquente, en général un bœuf sinon plus. Ce qui, de surcroit, leur vaut l’estime et le respect au sein de leur communauté. D’après les statistiques disponibles, 64,4 % des jeunes filles sont mariées entre 15 et 18 ans, et 23,9% à moins de quinze ans (ESMOD 2012-2013). Un chiffre très alarmant. Toutefois, certains parents commencent à changer leur conception de cette coutume qui dévaste leurs filles encore mineures. Florentine, une mère de famille a pris conscience des méfaits du mariage précoce sur ses enfants mineures mariées très jeunes. « Dans une extrême pauvreté, nous n’arrivions plus à subvenir aux besoins de notre famille. C’est ainsi que nous avions décidé de marier l’ainée à 13 ans et elle a eu son premier bébé à 15 ans.» [caption id="attachment_74675" align="alignright" width="300"] Un groupe d’adolescents très enthousiastes.[/caption] Abandon scolaire élevé À cause de ces raisons financières, des enfants sont contraints de quitter les bancs de l’école, soit pour aider leurs parents à prendre en charge les dépenses du ménage, soit l’adolescente est obligée de se marier avec un homme riche. Les parents arrangent l’union et la jeune fille n’a aucune chance de revenir sur les bancs de l’école. Toujours selon les chiffres, Le pourcentage des enfants, garçons et filles, contraints d’abandonner l’école, est de 20 % au niveau collège. Les causes en sont multiples, mais généralement cela est dû à une décision parentale et/ou à des difficultés familiales. Les adolescentes en sont les plus grandes victimes. Leur taux de déscolarisation est nettement supérieur à celui des garçons, à plus forte raison quand les parents estiment qu’elles seront mieux en se mariant dans leur jeune âge qu’en restant à l’école. « Le taux des jeunes filles déscolarisées est de plus en plus élevé par rapport à celui des adolescents, et dans la région Anosy par rapport au niveau national. Les parents éprouvent surtout des difficultés à trouver les frais de scolarité qui varient entre 30 000 et 60 000 ariary. Or, la plupart sont des agriculteurs et leurs activités sont peu rentables et aléatoires », affirme une responsable. Odette, 18 ans, en classe de 4e au collège d’enseignement général (CEG) de la commune de Behara, dans le district d’Amboasary-sud, a dû abandonner ses études. Elle explique les causes de son abandon. « Faute de moyens, ma famille n’arrivait plus à subvenir à mes besoins et j’ai été contrainte de quitter l’école et je suis restée à la maison où je travaillais». Des efforts sont menés pour pallier ce vide. Le Cours de remise à niveau ou CRAN est alors organisé dans différents collèges, notamment dans celui de la commune de Behara, avec l’appui de l’Unicef et dans le cadre de la KOICA. Le but de ce cours est de réintégrer les jeunes qui ont abandonné les bancs de l’école. « Je me suis arrêtés en classe de sixième, puis j’ai pu intégrer le CRAN, pour certaines matières où je rencontre des difficultés. Comme les mathématiques, la physique et le malagasy », explique Odette. [caption id="attachment_74676" align="alignleft" width="239"] Rojo, une animatrice.[/caption] [caption id="attachment_74677" align="alignright" width="254"] Harena, participante
aux séances de lifeskills
à Amboasary[/caption] Lifeskills ou connaitre tous ses droits Un autre témoignage, celui d’Harena, une jeune fille de 15 ans : « Comme je suis jeune, j’ai beaucoup à apprendre de la vie. Dans les séances de lifeskills, j’ai pu bénéficier de formations sur le savoir-vivre et surtout sur les inconvénients du mariage et de la grossesse précoces. De plus, je me suis également informée sur mes droits. Ainsi, je pourrais envisager un avenir meilleur pour être la fierté de ma famille. » Mille cinquante jeunes sont invités à prendre part aux actions de sensibilisation sur le mariage précoce et, en l’occurrence, les différentes formes de violences et abus dont sont victimes les adolescents surtout les filles. Issus des trois districts de la région Anosy, ils ont bénéficié de formations sur le mieux-vivre en communauté et s’ils veulent poursuivre leurs études, des moyens sont mis à leur disposition. Lifeskills est un instrument mis à la disposition de ceux qui ont entre 10 et 18 ans, filles et garçons scolarisés ou non. C’est une autre approche qui leur permet de s’informer sur les valeurs fondamentales à respecter dans la vie quotidienne. À la différence du club d’heure creuse qui se voit dans les CEG de l’Anosy, le lifeskills prend pour cibles les jeunes. Outre leur initiation sur les valeurs à appliquer dans la vie quotidienne, il aide au renforcement des compétences sur les méthodes d’affronter les réalités, notamment contre les abus, les mariages précoces, les modules de connaissances de soi et les règles de vie en communauté. Ces règles abordent, par exemple, les compétences diverses sur la santé des jeunes. Trente-deux pairs éducateurs animent des séances à base de lifeskills. Près de trois cents séances à base de lifeskills se sont tenues durant l’année 2018. Donner la parole aux jeunes enfants étant le but de ces séances. [caption id="attachment_74680" align="alignleft" width="412"] Debout au centre, Florentine témoigne devant des parents sur l’injustice du mariage précoce.[/caption] Dialogue communautaire et sensibilisation Le Dialogue communautaire ou « Dinidinika ambany tafotrano »- une coutume qui, jadis, favorisait les échanges entre les « Ray aman-dreny » (parents) ou « Raiamandreny » (anciens) et les « Zanaka » (enfants, jeunes adultes)- est l’une des pratiques de la population de Behara district d’Amboasary-Sud. Tous les vendredis, une réunion de deux heures, permet la sensibilisation des habitants sur les inconvénients du mariage précoce. La population locale participe au dialogue et donne son avis sur le mariage précoce. On cible surtout les parents par le dialogue communautaire. Florentine, une mère de famille de 32 ans, avoue qu’elle a marié très tôt ses deux filles ainées. Elle pensait que leur mariage pourrait aider sa famille, mais récemment, elle a participé activement à ces dialogues communautaires pour convaincre les autres parents de renoncer à cette pratique. « Grâce à ces sensibilisations j'ai pu prendre conscience des effets néfastes du mariage des enfants », dit-elle. Fulgence, un facilitateur lors des dialogues communautaire à Behara, explique que « dans les dialogues, des échanges entre les parents ont été mis en avant dans le but d'émettre les différents avis sur le mariage précoce. Plusieurs parents ont ainsi réalisé que prioriser l’éducation de leurs enfants est bénéfique ». Les victimes de violence sont prises en charge Cent quarante-sept enfants, voire davantage, ont été victimes de violences durant l’année dernière. Des violences qui se présentent sous diverses formes, et celles au niveau familial sont les plus fréquentes. Cent quatre enfants en ont été victimes en 2017, d’après la direction régionale de la Population, protection sociale et promotion des femmes dans l’Anosy, dont environ 79 sont des filles. La prise en charge de ses victimes relève de la compétence des réseaux de protection des enfants, implantés dans chaque localité et faisant intervenir diverses entités, telles la gendarmerie et le tribunal. Le processus de prise en charge débute par le signalement au niveau du fokontany qui, par la suite, signale le cas à une institution supérieure. Celle-ci entame alors une enquête et, si besoin est, accompagne la victime psychologiquement et physiquement. «La prise en charge consiste en une aide psychosociale et psycho-médicale des victimes. Cela peut aller jusqu’à la prise en charge psycho-judiciaire si le cas est grave », affirme Prudence Rafaliarison directeur régional de la Population, de la protection sociale et de la promotion des femmes. Une fiche de signalement est mise à la disposition des intervenants locaux et des responsables au niveau des réseaux de protection des enfants. « Le problématique est que dans le cas de violences subies, le signalement est rare du fait que les auteurs se trouvent dans le cercle familial et parfois les désaccords set règlent à l’amiable », révèle Prudence Rafaliarison. Les Coréens à la rescousse Le Koica ou Fonds Coréen de développement finance le programme de coopération entre l’Unicef et le gouvernement malgache qui vise à aider les adolescents à effectuer la transition entre l’enseignement secondaire, et à terminer leurs études. La population ciblée a été la population de la région Anosy, plus précisément des trois districts de Taolagnaro, Betroka et Amboasary, dans le cadre du programme de renforcement de matériel et de capacité au niveau des CEG. Ce renforcement a été organisé pour assurer les différents aspects du programme. Tels le cours de remise à niveau, le lifeskills à Amboasary-sud; le dialogue communautaire et la dotation de nouvelles infrastructures, notamment des salles de classe à Andrefandrano, dans le district d’Amboasary-sud. La capacité professionnelle des enseignants au niveau secondaire sera renforcée, de même que la mise en place d'infrastructures et de fournitures supplémentaires pour absorber davantage d'apprenants et l'enseignement des compétences de la vie courante et de la santé. Il vise aussi à renforcer les capacités au niveau local et communautaire afin de fournir des services de santé de qualité aux adolescent(e)s, la protection contre la violence, ainsi que le changement de comportement contre les pratiques dangereuses pour les adolescent(e)s, telles que le mariage et la grossesse précoces. 196 797 jeunes ont pu bénéficier du projet dont 99 383 adolescentes. [caption id="attachment_74679" align="alignleft" width="212"] Dina Rasolonjatovo , enseignante, anime ces cours grâce à une formation offerte par le projet
et du matériel donné par l'UNICEF.[/caption] Renforcement communautaire Le renforcement de capacité favorise la formation des cibles, composées des intervenants locaux et des acteurs locaux concernés par les Droits de l’enfant et les différents cas de violence. Outre la formation, les enfants eux-mêmes sont concernés par la sensibilisation. Fanoitra est l’un des clubs d’heure creuse de jeunes collégiens. Le programme appuie la participation des enfants pour leur protection contre les violences par le biais des clubs d’heure creuse. Depuis 2018, ceux-ci rassemblent plus de sept cents enfants. La sensibilisation par les intervenants sociaux des clubs d’heure creuse permet d’informer les enfants membres sur les violences physiques et morales vécues à l’école et dans le cadre familial. « La raison d’être du club est de faire connaitre aux jeunes collégiens membres les différents cas de violences domestiques. Ces violences qui semblent être ignorées, mais qui constituent essentiellement les causes d’abandon scolaire au niveau du collège », explique le directeur du CEG Tanambao à Fort-Dauphin. Dans le cadre du programme de coopération du KOICA ou Fonds coréen de développement, le club d’heure creuse et les lifeskills font partie des activités de protection de l’enfant en partenariat avec le ministère de la Population et de la protection sociale, appuyé par l’UNICEF et financé par le KOICA. [caption id="attachment_74678" align="aligncenter" width="383"] Les élèves du CEG d’Andrefandrano, dans le district d'Amboasary, ont eu de nouvelles salles de classe.[/caption] Textes : Diamondra Randriatsoa Photos : Fournies  
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