Robin et Dayot à couteaux tirés


Quand Ranavalona Ire accède au trône d’Antananarivo, le sort de nombreuses personnalités nommées par son défunt époux, Radama Ier, est scellé. Outre, entre autres, les princes Ratefy et Ramananolona ainsi que le Premier ministre Ralala, tous assassinés, son conseiller français Robin est également banni. Selon le délégué de la curatelle française à Toamasina, Benoit Joachim Dayot, Robin quitte Antananarivo « avec toute la honte et les humiliations possibles », le 13 octobre 1828. Auparavant, les juges l’interrogent sur son administration à Toamasina, l’emploi des fonds de la douane portuaire… « Après diverses chicanes et des subtilités captieuses, la reine agréa les comptes de Robin.» Arrivé à Moramanga, il écrit une lettre à Ranavalomanjaka dans laquelle « il lui demande mille pardons en exaltant sa douleur ; il la sollicite de lui permettre de rester dans une aussi petite place de Madagascar qu’elle voudra désigner, plutôt que de le bannir ». La reine décide alors de « lui assigner un exil et à ma volonté ». Et Dayot de commenter : « Voilà donc ce Blanc qui se dit tantôt Madécasse, tantôt Français et tantôt Anglais, revenir de son erreur. » Elle lui envoie une garde pour lui porter sa réponse : « Là où ma garde, destinée à vous surveiller, vous rencontrera, ce sera l’endroit de votre exil. Mais si c’est sur le rivage qu’il vous aura rejoint, elle a droit de vous faire rétrograder. Aussi acceptez maintenant l’exil ou bannissez-vous sous peine de mort. » D’après le délégué de la curatelle de Toamasina, quatre raisons expliquent le bannissement de Robin. La première est qu’il n’a pu rendre un bilan satisfaisant sur les activités douanières et sur l’administration de Toamasina où il a été co-gouverneur durant le règne de Radama Ier. La deuxième est d’avoir abusé des pouvoirs et de la confiance que lui a accordés Radama Ier. La troisième est que, pendant la maladie du défunt roi, il s’est permis de s’élever au grade de grand Maréchal du Royaume et du Palais. Il s’est également octroyé le titre de gouverneur général… Tout cela sans que le souverain en ait eu connaissance. Pourtant, lorsqu’il écrit à la Cour, il conserve son titre réel de 12 honneurs. Finalement, plusieurs officiers qui ont voulu se moquer de lui, le qualifient de maréchal en y ajoutant une espèce de croissant désignant le fer à cheval (ferrant). Mais il n’a pu deviner l’emblème qu’après sa sanction. La quatrième raison de sa déchéance est qu’il s’est toujours montré napoléoniste à Antananarivo, et a proféré des injures obscènes contre la duchesse d’Angoulême, en bravant les royalistes. « Ce qui est regardé par les Hova comme un crime, car cette peuplade honore singulièrement leur souverain et sa famille. » C’est un point que, si quelqu’un d’entre eux se permettait la moindre injure sur la famille royale, « il est de suite sagayé et son cadavre jeté en pâture aux animaux ». Il semble, selon Dayot, que c’est cette raison qui a déterminé son bannissement. En effet, « cette vénération et ce respect profond, dignes d’exemple, sont encore remarquables par les serments que les indigènes font sur leur souverain et sur sa famille ». Serments aussi sacrés que ceux faits à Dieu. C’est pourquoi Robin n’a jamais joui de la considération des Merina. Seul Radama qui en a eu besoin comme interprète et comme professeur de français, a eu pour lui « les bontés d’un bon ami ». Et c’est grâce aux égards qu’a eus pour lui le souverain, s’il a été respecté. Mais depuis la perte de son bienfaiteur et protecteur, il se retrouve seul. D’ailleurs, d’après Dayot, le roi n’a pas eu pour lui une « sincère estime » (...) « Radama dit, en ma présence et en celle d’autres personnes, qu’avec de l’argent, on pouvait faire tout de Robin (…) Certaines circonstances ont trop malheureusement confirmé et ont prouvé cette grande vérité sortie de la bouche d’un souverain qui avait la calomnie et le mensonger en horreur. » Robin arrive à Toamasina, le 22 octobre. Dès le lendemain, signale Dayot, « il dit que j’étais la cause de toute sa disgrâce, ayant écrit à la reine contre lui ». Selon le délégué de la curatelle française, pour se venger, Robin aurait lancé une calomnie contre lui. Accusation qui soutient que c’est Dayot « qui avait secondé les relations du gouvernement anglais avec Radama, auquel j’avais dit que la France était dans l’impuissance d’envahir ses possessions à Madagascar ». Une « calomnie affreuse » que Dayot ne digère pas du tout. Il en arrive à porter plainte contre Robin auprès de la reine. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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