Bemiray - Lu pour vous - L’homme et les droits humains ( La Lettre du Mercredi n° 46 du 27 décembre 2006 )


Si on parlait de Droits humains ? Car il reste beaucoup à initier et à entreprendre pour les défendre, en particulier ceux du détenu. Tom Andriamanoro évoque ensuite le secret, le discret Charles Ramanantsoa, propriétaire de l’hôtel Panorama, où un pan de l’histoire politique de Madagascar a pris forme. Enfin, si la Grande île veut garder sa renommée dans la production de plantes aromatiques et d’épices, il faudra que ces cultures de rente tendent vers le haut-de-gamme. [caption id="attachment_73366" align="alignleft" width="300"] Le bureau du procureur de la Cour pénale internationale chargée du procès
du Congolais Jean-Pierre Bemba.[/caption] Les droits fondamentaux continuent à être violés sur tous les continents. Les Droits de l’homme ne désignent pas ce qui est, mais ce qui devrait être. Ce ne sont pas des constats mais des valeurs normatives qui servent de mesure-étalon pour évaluer la réalité. C’est lorsqu’ils sont violés qu’ils prennent toute leur importance. Les Droits humains se divisent en plusieurs catégories, à commencer par les garanties fondamentales concernant la protection de la vie, y compris l’interdiction de la torture et de la détention arbitraire, et le droit à un procès équitable. Ils recouvrent aussi différentes libertés telles que la liberté d’opinion, d’assemblée ou de religion, ainsi que de nombreux droits économiques, sociaux et culturels, parmi lesquels les droits au travail, à la nourriture, à la santé, à l’éducation. Sept grandes conventions internationales ont été consacrées à ces multiples facettes dont l’inobservation d’une seule composante peut suffire à ébranler tout l’édifice : - La convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) - Le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) - Le pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) - La convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (1979) - La convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains, ou dégradants (1984) - La convention sur les droits de l’enfant (1989) - La convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles (1990) La Déclaration universelle des Droits de l’homme a donné naissance à plus de soixante documents spécifiques. Traduite en trois cents langues, elle n’est pas un document juridiquement contraignant, mais est considérée comme une loi coutumière, dont les principes sont appuyés par la Communauté internationale. Les principes qui y sont énoncés ont été insérés dans les Constitutions de quelque quatre-vingt dix pays. « L’Assemblée générale des Nations unies a demandé aux États membres de publier le texte de la Déclaration et de faire en sorte qu’il soit distribué, affiché, lu et commenté principalement dans les écoles et autres établissements d’enseignement » (Koffi Annann) Le statut portant création de la Cour pénale internationale (CPI) a été adopté lors de la Conférence internationale de Rome le 17 juillet 1998. Le 11avril 2002, soixante-dix pays, soit six de plus que le minimum requis pour l’établissement de la Cour, l’avaient ratifié, permettant son entrée en vigueur. Les dix-huit premiers juges prêtaient serment le 11 mars 2003 à La Haye. À la différence des tribunaux ad hoc tels que les Tribunaux pénaux pour la Yougoslavie ou pour le Rwanda, la CPI n’est pas un organe de l’ONU. Plus de deux mille organisations non gouvernementales sont réunies au sein d’une Coalition pour la CPI, avec pour principaux objectifs le renforcement du réseau mondial œuvrant en faveur de cette Cour, et l’adoption des législations nationales nécessaires à la coopération des États. [caption id="attachment_73363" align="alignleft" width="300"] Les détenus des prisons malgaches sont nourris ou se font ravitailler
par leurs familles.[/caption] Balise déontologique Que dire de Madagascar ? Ce qui frappe en premier lieu, c’est la multiplicité des organismes travaillant dans le domaine des Droits de l’homme et, par voie de conséquence, une certaine complexité des structures en place. Mais ce peut aussi être le signe d’une forte mobilisation à tous les niveaux. La seule Union nationale malgache des Droits humains (UNMDH), par exemple, rassemble à elle seule une centaine d’associations réparties dans toute l’île. Les Droits humains ont leur comité technique national qui coordonne les actions et travaille en collaboration avec le Système des Nations unies. La Confédération nationale, pour sa part, est la seconde plateforme permettant, entre autres avantages, de renforcer les capacités et faciliter la recherche de financements communs. La structure appelée à être l’organisme de tutelle est enfin la Confédération nationale des Droits de l’homme ou CNDH. Mise en place par l’État, elle est l’émanation au niveau du pays de celle, internationale, établie à Genève. La question des Droits de l’homme dans les enquêtes policières et traitements des prévenus occupe une place importante sous toutes les latitudes. À Madagascar, un atelier y a été consacré en 2005 et a conduit à l’élaboration d’un fascicule appelé à être un véritable manuel de procédure et une balise déontologique pour toutes les parties concernées. De nombreuses entités s’y sont associées, pour ne citer que le ministère de la Justice, la Police nationale et la Gendarmerie, l’Ordre des avocats, le PNUD, et les associations œuvrant dans le domaine des Droits de l’homme. Conformément aux conventions internationales signées par Madagascar, le respect des Droits de l’homme y est clairement stipulé à tous les niveaux. Leur application effective sur le terrain est une autre question à laquelle il n’est pas aisé de répondre… Toujours est-il que plus d’une vingtaine de sources ont été utilisées pour l’établissement des normes. Difficile enfin de faire l’impasse sur l’univers carcéral à Madagascar, dans lequel s’investissent de nombreuses entités : le ministère de la Justice bien sûr, mais aussi des organismes comme Catholic relief service et l’Aumônerie catholique des prisons qui répertorie dix-sept droits fondamentaux des prisonniers. Parmi ceux-ci les droits à la liberté de conscience et à l’épanouissement personnel, celui de recevoir de la nourriture de l’extérieur et d’entretien des relations directes ou épistolaires avec les familles. Les membres des associations travaillent sous le régime du bénévolat et du volontariat. Leurs interventions sont parfois mal comprises et assimilées à des ingérences ou des pressions. Leur rôle est en fait d’interpeller, et cela peut déranger bien des habitudes et intérêts… [caption id="attachment_73365" align="aligncenter" width="300"] La prison d’Ambanja possède une infirmerie
de condition minimale.[/caption] [caption id="attachment_73362" align="alignleft" width="300"] Une partie du massif de l’Isalo.[/caption] Rétro pêle-mêle - Nous sommes dans les années 2006-2007. L’association Mondo Giusto travaille dans la région de l’Amoron’i Mamia dans le domaine de l’assistance aux artisans. Elle a fait partie des organisateurs d’un Grand Prix Créatif des métiers d’art qui a rassemblé quarante-trois participants. Pour 2007, Mondo Giusto a inclus dans son programme de formation le marketing, le design, et la pratique du français. - Ambositra est le chef-lieu de l’Amoron’i Mania. Malgré ses rues parfois en pente, la ville comptait à cette époque deux cent cinquante pousse-pousse, un chiffre qui pouvait monter à trois cents à certaines périodes. De dimensions un peu plus petites que ceux d’Antsirabe, de Toamasina, ou de Mahajanga. Les véhicules étaient bien entretenus, propres, et naïvement décorés. Des paysans venaient souvent en saison des pluies pour être des tireurs occasionnels. - Une nouvelle espèce endémique de chauve-souris à ventouse a été découverte dans l’Ouest de Madagascar par des chercheurs du Field Museum de Chicago. Les chauves-souris figurent parmi les espèces en réel danger de disparition au niveau mondial. À Madagascar elles sont le groupe de mammifères le moins étudié par les scientifiques. - Les parcs nationaux de Madagascar ont en 2006 attiré 108 000 visiteurs et généré deux milliards d’ariary de recettes. Le plus visité reste l’Isalo avec 29 000 entrées, suivi d’Andasibe (22 000), Ranomafana (16 000), et la Montagne d’Ambre (10 000). Concernant les régions, le Grand Sud a enregistré 38% des touristes contre 21% pour le Nord, et 19% pour l’Est. - Depuis le mois de janvier 2007, les passagers des vols Air France sur la ligne Paris-Antananarivo bénéficient du « Piece Concept » qui leur donne droit à plus de bagages. Ce nouveau programme est aussi appliqué sur trois autres destinations, à savoir Cuba, la République Dominicaine, et le Brésil. [caption id="attachment_73367" align="alignright" width="300"] Le conditionnement de la vanille s’effectue toujours manuellement.[/caption] Cultures de rente - Ne plus se croire les meilleurs dans les plantes aromatiques et épices Ivoloina au Nord de Toamasina, ancienne station de l’Institut de recherche agronomique. C’est dans cet espace longtemps tombé en désuétude que quelques opérateurs encore soucieux de qualité ont, il y a plusieurs années de cela, cherché et retrouvé certaines variétés de poivre qui autrefois faisaient la renommée de Madagascar. Plus au Nord encore, la sous-préfecture de Fénérive-Est porte le nom éloquent de « Analanjirofo » ou Forêt de girofle. Le sol alluvionnaire y recèle un fort potentiel agronomique qui a fait de la culture de plantes aromatiques et d’épices une tradition bien ancrée. Malheureusement, entretien et investissements conséquents ont fini par se faire rares. La majorité des girofliers avait pris de l’âge, et ce qui était une exploitation bien suivie s’est progressivement transformée en économie de cueillette dans laquelle le paysan se satisfaisait de ce que la nature voulait bien produire. Les mêmes tares ont frappé les autres épices à quelques exceptions près : des opérateurs nostalgiques d’un passé de grandeur et confiants en des lendemains pouvant encore être meilleurs s’étaient mis à recréer des qualités oubliées. Il en est ainsi du girofle HPS, ou hand picked and selected, trié main, qui est ce qui se fait de mieux en matière de clou de girofle, ou de la cannelle en tuyau ou « cigarette » autrefois mondialement appréciée. Une diversification avait alors été tentée vers d’autres cultures comme la cardamome, très appréciée en Inde, ou le poivre rose très apprécié aussi pour ses qualités décoratives. Autour de ces pôles de redéploiement les années 2000 ont vu un regain bénéfique de motivation chez les paysans qui bénéficient, désormais, d’un encadrement adéquat tout en étant assurés d’avoir des acheteurs fermes pour leurs produits. Haut de gamme Sur les marchés mondiaux, en effet, il importe de s’armer contre la concurrence, au lieu de se complaire dans l’autosatisfaction d’une place acquise qui se doit d’être défendue. C’est le cas de la vanille, souvent assimilée à Madagascar, que l’on peut classer parmi les plantes aromatiques. L’Ouganda produit une superbe variété avec cette méticulosité propre aux pays anglophones. L’Inde a un potentiel non négligeable, et la Papouasie-Nouvelle Guinée ne sera pas un éternel débutant. Le Mexique et le Guatemala ont confirmé leur poids, sans parler de l’ogre indonésien. Il importe de se souvenir, comme disent les sportifs, que le plus dur n’est pas de parvenir au sommet, mais de s’y maintenir ! Exit donc les cueillettes et mises prématurées sur le marché. Le géranium est une plante qui ne figure pas dans la tradition rurale malgache. Il exige des investissements importants en matière de compostage et d’amendement du sol. Le Malawi y réussit fort bien, et les Réunionnais utilisent 60 à 80 tonnes de compost à l’hectare et par an pour leur très beau géranium Bourbon. Cela fait à la fois beaucoup de travail et d’argent investi, donnant une idée précise du passage obligé pour prétendre à une place gagnée, ou sauvegardée, dans un contexte de mondialisation sans concession. Madagascar possède une exceptionnelle variété de sols, de reliefs, de climats dont le pays a profité pendant longtemps d’une manière quasi-miraculeuse. Ce chapitre édénique est à refermer si l’on ambitionne, non plus de se croire les meilleurs, mais de réellement l’être, et le rester. D’autant plus que Madagascar est « condamné » à évoluer dans le haut de gamme, n’étant pas compétitif dans les catégories inférieures. C’est le cas des essences de poivre, où le produit indien est trois fois moins cher que son homologue malgache. [caption id="attachment_73368" align="alignleft" width="300"] La grande salle du complexe hôtelier de Charles Ramanantsoa a accueilli diverses réunions politiques
et économiques.[/caption] L’homme du Panorama - Secret et atypique, Charles Ramanantsoa Du temps où les coteaux d’Andrainarivo étaient moins garnis qu’aujourd’hui, la silhouette blanche de son hôtel faisait la fierté de tout un peuple qui n’hésitait alors pas à parler de « Hilton malgache » avec, entre autres audaces, un casino cossu au dernier étage. Certains s’interrogeaient sur le bien-fondé d’un investissement de cette taille, surtout à Antananarivo où le Madagascar Hilton bénéficiait de son appartenance à une chaîne mondiale, et le Colbert de son passé d’hôtel colonial remontant aux années 1920. D’autres en concluaient qu’il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une lubie de milliardaire qui ne savait plus quoi faire de son argent. D’autres encore y voyaient une opération immobilière d’avant-garde pour l’époque, un placement n’attendant que son heure pour rapporter gros. « Secret » est le qualificatif qui lui convient, puisqu’on n’a jamais connu à l’Hôtel Panorama, nom de l’établissement, aucune sorte de tapage commercial. À d’autres les patronages de manifestations, les folders, les soirées gastronomiques, les rendez-vous prestigieux de clubs de service… On n’a jamais entendu non plus le propriétaire Charles Ramanantsoa rechercher un quelconque leadership dans le milieu des groupements hôteliers, quand bien même il ne serait venu à l’idée de personne de le lui contester. À croire que le Panorama n’a pas d’image, qu’il ne se soucie guère d’en avoir une, et ne s’en porte pas plus mal. Curieusement, cependant, et peut-être en raison de l’emplacement plutôt excentré de l’hôtel, les politiciens ont toujours été à leur aise au Panorama pour leurs réunions. C’est ainsi qu’en 1991, le sort du pays s’est joué dans une de ses grandes salles avec, au bout, l’historique Convention du Panorama donnant le vrai pouvoir au Premier ministre Guy Willy Razanamasy et laissant (quand même) les honneurs et les chrysanthèmes à l’amiral Didier Ratsiraka. Le Professeur Albert Zafy se voyait, quant à lui, confirmé à la tête d’une Haute Autorité de la Transition. Charles Ramanantsoa se cantonnait alors dans son rôle de maître des lieux. C’est au Panorama également qu’ont été esquissés les contours de ce qui sera le Comité de réconciliation nationale ou CRN (zafiste) qui connaîtra plusieurs défections de marque quand les orientations du Professeur se feront plus claires : Richard Andriamanjato la figure emblématique des Forces vives, Guy Willy Razanamasy, Daniel Rajakoba… Plus tard, la décision de l’homme d’affaires, l’apolitique par excellence, de se rallier à ce CRN déserté par la plupart de ses ténors, et dont il deviendra même le vice-président aura l’effet d’une bombe. Elle lui éclatera entre les doigts, car le voilà obligé de faire paraître dans la presse des explications plutôt confuses qui ne convainquent personne. 1996, une date historique : las et écœuré devant les pressions et le défilé de candidats potentiels et de partis venant quémander des fonds, Charles Ramanantsoa décide de se lancer lui-même dans le bain des présidentielles. On le prend pour un farfelu, mais il réussit une véritable performance : celle d’obtenir un bon score alors que pour ce qu’il faut bien appeler sa campagne, il n’avait pas quitté une seule fois son hôtel et son salon. Lettres sans frontières - Je ne sais en quel temps c’était Je ne sais en quel temps c’était, je confonds toujours l’enfance et l’Eden Comme je mêle la Mort et la Vie, un pont de douceur les relie. Or je revenais de Fa’oye, m’étant abreuvé à la tombe solennelle Comme les lamantins s’abreuvent à la fontaine de Simal Or je revenais de Fa’oye, et l’horreur était au zénith Et c’était l’heure où l’on voit les esprits quand la lumière est transparente Et il fallait s’écarter des sentiers, pour éviter leur main fraternelle et mortelle. L’âme d’un village battait à l’horizon. Était-ce des vivants ou des Morts ? « Puisse mon poème de paix être l’eau calme sur tes pieds et ton visage Et que l’ombre de notre cour soit fraiche à ton cœur », me dit-elle. Ses mains polies me revêtirent d’un pagne de soie et d’estime Son discours me charma de tout mets délectable – douceur du lait de la mi-nuit Et son sourire était plus mélodieux que le khalam de son dyâli. L’étoile du matin vint s’asseoir parmi nous, et nous pleurâmes délicieusement. - « Ma sœur exquise, garde donc ces grains d’or, qu’ils chantent l’éclat sombre de ta gorge. Ils étaient pour ma fiancée belle, et je n’avais pas de fiancée ». - « Mon frère élu, dis-moi ton nom. Il doit résonner haut comme un sorong, Rutiler comme le sabre au soleil. Oh ! chante seulement ton nom. Mon cœur est un coffret de bois précieux, ma tête un vieux parchemin de Djenné. Chante seulement ton lignage, que ma mémoire te réponde ». Je ne sais en quel temps c’était, je confonds toujours présent et passé Comme je mêle la Mort et la Vie – un pont de douceur les relie.
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