L’intolérance des écrivains chrétiens


Pour illustrer son « Esquisse pour le portrait d’une reine : Ranavalona Ire », après avoir rappelé les propos des voyageurs et historiens étrangers, Simon Ayache cite les écrivains protestants (lire précédente Note). Après avoir évoqué le missionnaire W. Ellis et Raombana, il se penche sur l’œuvre du pasteur Rabary qui, comme ce dernier, « tire aussi tout son poids de son originalité malgache ». « Ny Daty malaza na ny Dian’i Jesosy Kristy teto Madagasikara» (cinq volumes, 1929), classique de l’histoire religieuse merina, consacrent Rabary comme historien national. « Son jugement sur Ranavalona, aussi hostile que celui des auteurs étrangers et partagé par d’innombrables lecteurs, doit être interprété et compris », précise Simon Ayache. Françoise Raison propose une analyse intéressante sur le sujet. « C’est l’histoire de Madagascar vue du point de vue de Dieu dans un providentialisme qui fait sortir les missionnaires des coulisses en 1820 et c’est là que tout commence » (« Spiritualité et ecclésiologie protestantes en Imerina sous la colonisation », 1973). Simon Ayache explique qu’entre le règne de Radama Ier et celui de Radama II, deux périodes de lumière (tany mazava), celui de Ranavalona Ire est celui de la nuit (tany maizina). Si le véritable héros du passé malgache est « le martyr protestant », la condamnation de Ranavalona sera sans appel. « La conscience protestante exclut la reine persécutrice de l’histoire la plus profonde des Malgaches, celle qui les guide dans leur destinée spirituelle. » Mais, précise l’historien, il ne faut pas s’attendre à une plus grande indulgence des écrivains catholiques, même si « la réprobation part de sentiments forts différents». Car très longtemps, mission catholique et colonialisme se confondent. « Les historiens catholiques français les plus connus pleurent assez peu le souvenir des martyrs protestants. Mais ils ne pardonnent pas à Ranavalona Ire son hostilité à l’Europe et, plus particulièrement, aux efforts de pénétration française, généralement accompagnés ou précédés de tentatives missionnaires catholiques. » En revanche, les historiens catholiques malgaches offrent des jugements intéressants car ils adoptent un « point de vue plus intérieur et authentiquement national ». La première place revient au livre du père Malzac,(« Histoire du royaume hova », 1912). Exprimant les tendances de l’historiographie catholique et française du XIXe siècle malgache, l’ouvrage se situe, pour le style et l’esprit, à mi-chemin entre la délirante passion du père de La Vaissière (Histoire de Madagascar- Ses habitants et ses missionnaires, 1886) et la subtile sévérité du père Boudou (Les jésuites à Madagascar au XIXe siècle, Le complot de 1857, Collection de documents). Ainsi Malzac n’accorde que deux pages à la persécution des chrétiens malgache car les martyrs ne représentent nullement, « à ses yeux », les héros des temps passés. Par contre, tout un chapitre est consacré à l’expulsion des Européens en 1845, où éclate, selon lui, la mentalité primitive de Ranavalona Ire et son mépris de la civilisation. « Poussée par une haine toujours grandissante contre tous les étrangers, elle voulut leur appliquer toutes les lois du royaume et les traiter comme ses propres sujets… Les traitants européens n’avaient pas à hésiter sur le parti à prendre. Il était contre leur dignité de se soumettre aux lois hova… L’expulsion était préférable… » Et toujours la comparaison avec Radama Ier : « Ranavalona, conseillée par quelques personnages influents en (barbarie la plus sauvage) fut l’incarnation vivante… La cruauté, les superstitions idolâtriques reprises et pratiquées avec le grand fanatisme, la haine de l’étranger portée à son paroxysme, tel est le bilan de ce règne à jamais fameux. » Razafintsalama (Dama-Ntsoa), l’écrivain catholique qui devient bouddhiste vers la fin de sa vie, poursuit aussi le souvenir de Ranavalona d’une colère égale. Cependant, dans son « Histoire politique et religieuse des Malgaches», le héros n’est pas du tout Radama Ier, mais Andrianampoinimerina. « Intégrant les valeurs morales du christianisme à l’ancien idéal humain des ancêtres malgaches», il déteste la reine pour son « modernisme » et pour son « aveuglement » devant la ruine des pures traditions et le contresens qu’elle commet dans sa défense obstinée et culturelle d’un « faux passé national ». Pour lui, « l’État est une volonté méchante, encrassée de tous les vices qui fait montre de sa puissance en sévissant à tout propos, avec la dernière rigueur. On est ainsi aux antipodes des pensées généreuses et vraies d’Andrianampoinimerina…» Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
Plus récente Plus ancienne