Le Zoma, un grand spectacle suggestif de Tana


Le publiciste Urbain-Faurec, les écrivains Marius et Ary Leblond, et l’économiste Henri Fournier décrivent, chacun à sa manière, « le monde en miniature grouillant de peuple, étincelant de couleurs, fourmillant de produits» qu’est le grand marché d’Analakely (Revue de Madagascar, Spécial Tananarive, 1952). Le premier parle du marché du Zoma. « Spectacle inchangé depuis les anciens jours, en plein centre de la ville, sur la Place d’Analakely, le grand marché s’ouvre chaque matin. Le plus important est celui du vendredi, en malgache Zoma ; la place même d’Analakely porte le nom de Place du Zoma. De tous les villages des environs, paysans, pasteurs, éleveurs et artisans apportent au marché le produit de la terre, de la ferme ou de l’atelier. » «Sous des tentes sommaires et des parasols colorés, s’entassent les légumes, les fruits et les lourdes soubiques débordantes de riz. Sur le bord du trottoir qu’encombrent les chalands, les fleurs des Hauts-Plateaux jettent une note chaude. Plus loin, en amoncellement mouvant et piaillant, les volailles. En petits tas méticuleusement dosés, s’alignent sur les nattes toutes les herbes de la pharmacopée malgache: les fanafody qui guérissent la fièvre, les graines qui calment, les écorces qui cicatrisent et jusqu’aux plantes dont les savants mélanges composent des philtres infaillibles. » « Sculpteurs sur bois, peintres sur soie, brodeurs de rabanes et tisseurs de paille fine exposent leurs œuvres ingénues mais habiles. » «Et toute cette foule, vêtue de lamba blanc qu’incendie le soleil, vient, vend, achète dans une animation prodigieusement silencieuse. Témoignage surprenant de la tristesse incompréhensible de cette race qui vit sur une terre accueillante et sous un ciel favorable… » Les deux écrivains, pour leur part, reviennent sur la zone d’autrefois. « Le Zoma, grand marché du vendredi, est le spectacle le plus suggestif de Tananarive; c’est là qu’on peut le mieux considérer, dans ses gestes, cette race passionnée de ‘kabary’ et de bavardages trainants. » « Dans l’ombre ambrée des mille échoppes tendues de rabanes que les auvents de paille abritent d’un soleil vibrant, derrière des guirlandes de fines bougies indigènes pendues en devantures, les marchandes, recroquevillées dans leurs pagnes d’un blanc frais sur des marches de terre battue, les visages jaunes comme de la cire, la chevelure lisse aplatie sur le crâne, le front plissé, indiquent de mains caressantes les ananas rouges dont des corbeilles de paille verte, les cédrats granulés et les grappes de nèfles. » «D’autres, le voile à peine entrouvert sur les yeux baissés, sont agenouillées devant des nattes de manioc, de piments et de crevettes, dans une attente plaintive de l’acheteur; et l’on voit, dans une tranquillité de solitude, les chaudronnières aux chevelures agglomérées comme la suie, ranger des marmites et des coupes en terre noire, et des ramatoa aux joues endormies étendre des fripes avec des manières propres. » «En pleine lumière, les vendeuses de lamba mortuaire, assises en cercle comme autour d’une tombe, déroulent de leurs genoux sur le sol, les linceuls roux à rayures vertes, tandis que les marchandes de soie, tout en se parlant, cardent de leurs doigts osseux de gros écheveaux scintillants. Dénoués en écharpes du corps des hommes et des femmes qui se découvrent en se frôlant, ou ramassées par plis aux omoplates des gens immobiles, ce sont partout de blanches toiles dans la pureté desquelles les visages jaunes paraissent d’un éclat matinal, le jour se levant de plus en plus bleu et l’air, aux portes des petites auberges en joncs, s’emplissant de l’amère odeur de café noir. » «Autour de troncs coupés en billots, les enfants en chemises tendent aux vieilles vendeuses de miel noir, leurs menus tubes de calumet où elles font égoutter le liquide épais, avec une mince cuiller de bois, des aïeules aux paupières plissées garnissent à la ronde les tabatières en roseau des bourjanes (porteurs). » «Des chapeaux de paille passent de main en main. Près des marchands de violons qui ont appuyé leurs valiha en bambou, plus grandes que les hommes, contre un pan de mur, les potières élèvent en l’air des cruches rouges à reflets de mica, faisant sonner l’argile d’une chiquenaude pour en attester la solidité. » Les bûcheronnes qui se déplacent parmi les bruyères à brûler, les maraichères à face de safran qui s’avancent portant sur l’épaule le bâton des extrémités duquel pendent des corbeilles de tomates et de citrouilles, toutes dans le chaud soleil trop fort qui bourdonne du bruit des conversations, du tintement des pièces d’argent aux tales des changeurs et des sons de valiha épars, gardent au milieu de la plus intense animation collective, une sorte de placidité lente et meurtrie…
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