L’histoire vue par un homme de théâtre


Dans la même lancée «culturelle» que la précédente Note, également lu dans un numéro de la revue d’études historiques Omaly sy Anio, Yvette Sylla présente Ranavalona III et le général Gallieni vus par un homme de théâtre, soixante ans après. La pièce est écrite par Victor Solo en 1963 et la première représentation a lieu en 1965. Dans son analyse de la pièce, elle affirme d’emblée que les divers thèmes de la pièce et certains détails sont conformes à l’histoire. Et d’ailleurs, les personnages de la pièce, mis à part la famille Rabefarihy et certains autres Menalamba cités, existent dans la réalité. Elle cite ainsi quelques exemples. En abordant le mouvement Menalamba, Victor Solo veut le glorifier car il est mal connu dans les premières années de l’indépendance recouvrée. « Débutant dans l’Imamo, au lendemain de la capitulation de Tananarive, fin 1895, il s’est amplifié sous la direction de chefs prestigieux tels que Rainibetsimisaraka et Rabezavana. » L’auteur fait allusion au «massacre historique» du missionnaire Johnson, car certains insurgés préconisent un retour aux sources ancestrales et rejettent les croyances étrangères. « C’est ainsi que l’on assiste à une véritable guerre sainte et des idoles telles Kelimalaza ou Ravololona ressurgissent », commente Yvette Sylla. L’une des missions du général Gallieni est de réduire le mouvement à néant. Ce dernier rentre d’une campagne de quatre ans au Tonkin quand il reçoit l’ordre de s’embarquer en 1896, pour Madagascar. Il y découvre que « l’insurrection est générale ». Sa mission est donc de réaliser l’occupation et la « pacification » du territoire. Ses premières mesures sont énergiques et « le portrait esquissé dans la pièce est assez exact », selon Yvette Sylla. L’important pour lui étant de réduire, à néant le mouvement Menalamba. Et « des Malgaches participent à son œuvre. » Dans la pièce de Victor Solo, on cite les noms de Rasanjy et Ramahatra. Le premier est effectivement un collaborateur actif des occupants français, mais, juste après l’indépendance, « il est encore délicat de définir avec exactitude le rôle qu’il a joué ». Jean Carol dans Chez les Hova et Pierre Boiteau dans sa Contribution à l’histoire de la nation malgache le jugent comme « un homme sans scrupules, prêt à tout pour servir les intérêts de la France au détriment de son pays ». Dans tous les cas, la collaboration de Malgaches permet au Général d’accomplir des « coups d’éclat » destinés à frapper les esprits et à éliminer les personnes susceptibles de s’opposer à lui, telles Rainandriamampandry et le prince Ratsimamanga, oncle de la reine. D’après Yvette Sylla, pour Gallieni, la condamnation du premier, ministre de l’Intérieur du gouvernement Tsiazompaniry, doit servir d’exemple et elle frappe de consternation les Malgaches, car il est réputé pour être un homme courageux, juste et admirable. En « voulant frapper un grand coup », il vise juste. Carol, directeur de l’imprimerie nationale et responsable à cette époque du Journal officiel malgache, rapporte dans son livre « le caractère odieux du conseil de guerre qui condamna les deux hauts dignitaires malgaches : ce fut une véritable mascarade ». Il accuse Gallieni « d’être un chef militaire cynique dont le geste a@urait été un crime politique». Toutefois, Yvette Sylla relève aussi des inexactitudes historiques dans la pièce de Victor Solo. Notamment la loi d’annexion qui n’est pas une invention de Gallieni comme il le dit, puisqu’elle est votée à Paris le 6 aout 1896, et publiée à Tananarive le 26 septembre, alors que le Général ne débarque dans l’ile que fin septembre. De plus, même si la loi n’est pas explicite sur la question du droit, il va de soi que le tricolore français se substitue à l’emblème royal. Des inexactitudes se voient aussi sur la question de l’esclavage. C’est le résident général Laroche qui initie l’abolition de l’esclavage, à la fin de son gouvernement, provoquant la colère de Gallieni car « c’était livrer au chômage et peut-être à la rébellion des milliers de gens et dresser contre la France les anciens maitres ». Quant à l’entrevue entre Ranavalona III et Gallieni, « elle n’a pas eu lieu réellement de cette façon au Palais ». Dès son arrivée, ce dernier tient à marquer sa froideur vis-à-vis de la Reine pour l’obliger à s’incliner devant lui, « l’ile ayant été déclarée colonie française ». En fait, c’est la souveraine qui, la première, doit se déplacer à la Résidence générale à Antaninarenina. « L’allocution du Général est brève et sèche mais polie », précise Yvette Sylla, « sans les violences et la volonté de profanation notamment du drapeau malgache » indiquées dans la pièce de Victor Solo. Et de se demander : « Ces inexactitudes sont-elles involontaires ou voulues pour répondre à certains effets dramatiques par exemple ? » Sans doute un peu des deux.
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