Jacques RANDRIANASOLO - « Il n’y aura pas de traitement de faveur »


Le ton est donné. Tout comme ses prédécesseurs, la lutte contre la corruption est en première ligne des priorités de Jacques Randrianasolo, ministre de la Justice. Que ce soit pour les magistrats ou les justiciables, le garde des sceaux plaide pour une justice impartiale et sans étant d’âme dans l’application des lois. L’Express de Madagascar. Votre prédécesseur a mis en œuvre un certain nombre de réformes. Allez-vous les continuer ou prévoyez-vous de changer de démarche ? Jacques Randrianasolo. Nous sommes dans un nouveau régime avec une nouvelle politique générale de l’État sur la base de laquelle nous allons cadrer le travail au sein du ministère. Pourriez-vous nous dire quelles sont vos priorités ? La priorité des priorités est la lutte contre la corruption. Ce fléau fait mal à la population et fait partie de l’axe de l’Initiative pour l’émergence de Madagascar (IEM). J’ai lutté contre la corruption durant une bonne partie de ma carrière. J’ai suivi plusieurs formations internationales sur ce sujet. Premièrement, je compte placer des caméras de surveillance à l’intérieur et à l’extérieur du palais de justice. Même les salles d’audience en seront dotées pour surveiller la ponctualité des magistrats. La circulaire selon laquelle les magistrats ne peuvent pas recevoir des gens dans leur bureau sera renforcée. Seuls les hauts responsables en ont l’autorisation. Ce sera dans tout Madagascar, ou juste à Antananarivo ? Nous allons commencer par Antananarivo. Nous allons en faire un tribunal pilote. L’accès au palais de justice, mais aussi, aux bureaux sera strictement règlementé. Les contrôles d’identité à l’entrée seront renforcés. Il y aura des services de sécurité spéciaux en uniforme pour lutter contre les rabatteurs car malheureusement, ceux qui sont déjà là sont de connivences avec les rabatteurs dont les actes entachent fortement l’image de la justice. Il y aura, également, des uniformes pour le personnel à l’accueil pour qu’il soit facilement reconnaissable et que les justiciables ne soient pas induits en erreur ou manipulés lorsqu’ils requerront des services au tribunal.

« On ne peut plus accepter le laxisme dans le monde judiciaire »

Est-ce vraiment nécessaire ? J’ai travaillé 42 ans au tribunal. Je connais tous les micmacs qui s’y déroulent. Je compte, par ailleurs, mettre en œuvre la numérisation du travail pour plus de transparence, de célérité et réduire le plus possible la manipulation humaine des dossiers. Même les badges d’accès seront, aussi, numérisés. Nous allons, par ailleurs, reprendre les programmes télévisés et radiophoniques où des magistrats vont expliquer les dispositions légales et les procédures à suivre afin d’informer la population. Il y a toujours des mesures annoncées, mais qu’en est-il des sanctions ? On me connaît comme ayant été sans état d’âme lorsque j’étais directeur de l’inspection judiciaire. J’ai traduit plusieurs magistrats devant le conseil de discipline. Nous allons intensifier le suivi et le contrôle du travail des magistrats. Un budget est même prévu pour cela. À l’heure où nous parlons, par exemple, quatre inspecteurs ont été envoyés à Ambatondrazaka, suite à des doléances. Celui qui en fait l’objet a été écarté du service concerné. On ne peut plus accepter les laxismes dans le monde judiciaire. Pourrait-on s’attendre à des sanctions judiciaires et non pas seulement disciplinaires ou administratives ? Si des abus, des faits de corruption et des infractions sont constatés et prouvés, il y aura des poursuites pénales et des sanctions administratives. Peu de gens le savent, mais il y a des gens qui ont déjà été sanctionnés. Il y en a qui ont fait l’objet de poursuite pénale et condamné. S’adonner à la corruption, du reste, est une circonstance aggravante pour le magistrat qui connaît la loi et qui la transgresse délibérément. Je serais sans état d’âme sur ce sujet. Les intérêts politiques, ou intérêts économiques particuliers pourraient-ils préserver certaines personnes ou catégories de personne d’une poursuite judiciaire ? Il n’y aura plus d’impunité. La loi est faite pour tout le monde, doit être respectée par tout le monde et s’appliquer à tout le monde. Personne ne bénéficiera de traitement de faveur. Tous ceux qui transgresseront la loi seront poursuivis que ce soit des Malgaches ou des Ressortissants étrangers. Toujours dans le cadre de la lutte contre la corruption, qu’en sera-t-il du concours d’entrée à l’École nationale de la magistrature (ENMG) ? L’assainissement est en cours. Des responsables de quelques services seront probablement remplacés. S’il y a eu des fraudes, c’est qu’il y a eu des failles au sein des services. Il va de soit qu’il faut remplacer ceux qui sont là depuis un certain temps et, éventuellement, habitués à une certaine façon de faire par de nouvelles personnes. Cela pourrait changer les choses. Le concours a été suspendu puisqu’il y a eu des anomalies constatées. L’un des témoins clés de l’infraction est décédé juste avant de finaliser la retranscription de ses témoignages. Un décès à la suite d’un accident de voiture suspect. Qu’en sera-t-il de la suite de l’enquête dans ce cas ? Le constat des anomalies a amené mon prédécesseur à suspendre le concours. Le témoin décédé a, néanmoins, pu révéler une partie des malversations qui ont été faites à l’ENMG. Je ne veux pas faire d’accusation gratuite, mais la question est la suivante était-ce un vrai accident ou une simulation d’accident. L’enquête sur ce fait est en cours. Le concours ne reprendra donc, qu’une fois l’assainissement terminé ? Ce qui est triste, c’est qu’il y a des enfants de personne probes, mais qui sont en difficultés financières qui aspirent à améliorer leur condition de vie, qui misent sur les études pour réussir et qui sont parmi les meilleurs. Peu y parviennent, pourtant, à cause des malversations et des fraudes. Ce sont, également, une des raisons qui font que la justice est considérée comme l’un des domaines les plus corrompus. Evidement, ceux qui ont réussi en payant de l’argent auront dans l’idée de récupérer leur investissement. Nous allons frapper et lutter contre la corruption à la base, dès les concours d’entrée à l’ENMG. Tous ceux qui sont liés de près ou de loin à des malversations durant les concours seront remplacés. Des poursuites judiciaires sont-ils toujours dans les plans dans cette affaire ? Effectivement, des poursuites seront engagées contre les auteurs de délits. Cette affaire ne sera pas bâclée. A quoi sert la loi si elle n’est pas appliquée ? Sur un autre sujet, le dernier conseil des ministres a parlé de renforcement de la politique pénale contre le grand banditisme. Pourriez-vous nous donner de plus amples explications ? Il s’agit de renforcer la lutte contre les actes criminels. Le constat est que des personnes censées être en détention, commettent encore des actes criminels. Il y a ceux qui, par téléphone, pilotent de leur lieu d’emprisonnement, des actes de banditismes. Aussi, l’Etat compte construire une nouvelle prison pour les grands bandits, où ils seront isolés du monde extérieur. Il est réputé, toutefois, que les failles soient au niveau de la surveillance des prisons. Il faut, également, en finir avec les errements au sein des prisons. Les responsables qui ne feront pas leur travail correctement seront limogés sans hésitation. Personne n’est irremplaçable. Le renforcement de la détention et de la discipline sera, par ailleurs, accompagné d’une politique de réinsertion sociale. Nous allons rouvrir les camps et les jardins pénaux pour que les prisonniers puissent travailler et pour qu’ils ne soient plus des charges pour l’État. Ils travailleront et contribueront aux ressources de la prison. Qu’en est-il de la collaboration de la justice avec les corps des Forces de défense et de sécurité (FDS) ? Nous, responsables au sein de la justice, la défense nationale, la sécurité publique et la gendarmerie nationale, nous sommes convenus de collaborer, lutter ensemble et de taper fort pour endiguer l’insécurité. Cela se voit déjà dans les rues. Les militaires, les gendarmes et les policiers qui font des patrouilles ou accentuent leur présence au quotidien. Pour en revenir à la lutte contre la corruption, on vous prêtait une mauvaise réputation du temps où vous étiez Procureur général de la Cour d’appel d’Antananarivo (PGCA). Je ne peux pas empêcher les gens de parler. Mes détracteurs ont leurs raisons. Seulement, ceux qui me connaissent savent comment je travaille et ce que j’ai accompli en matière de lutte contre la corruption. Comme je l’ai dit, j’ai 42 ans de carrière sans aucun bien ostentatoire, ni un patrimoine conséquent. L’ordre à l’endroit de tous, actuellement, est de se garder de tout acte de corruption et qu’il n’y aura aucun compromis. Cela nécessite que je sois un modèle. Quelle serait alors la cause de cette réputation ? Je me suis employé à lutter contre la corruption durant ma carrière. Plusieurs personnes, dont des magistrats qui ont été sanctionnés, n’ont pas apprécié mes actions. J’ai, également, été victimes d’usurpation d’identité à plusieurs reprises. Des individus mal intentionnés ont même réussi à produire une carte d’identité nationale à mon nom. Ils l’on utilisé pour soutirer de l’argent aux justiciables en se faisant passer pour moi. Il y en a qui ont déjà été appréhendés et jetés en prison. Est-ce, par ailleurs, une coïncidence que vous ayez des liens familiaux avec un autre ministre et un collaborateur d’un ministre ? La composition du gouvernement est un choix du Président de la République. La nomination aux hautes fonctions étatiques, je pense, dépend surtout de son parcours politique, ainsi que de ses compétences et non pas puisque la personne est membre de la famille Randrianasolo. Vous parliez d’intransigeance, cela prévaudra-t-il toujours si jamais un membre de votre famille est impliqué dans une affaire judiciaire ? Je vais vous raconter une chose que tous les magistrats connaissent. Un juge, membre de ma famille, il travaillait en détachement dans un autre département et a fait une chose punissable. Il a été condamné pénalement et limogé de son statut de magistrat. Je ne suis pas intervenu malgré le fait que la fonction que j’ai occupée à l’époque aurait pu, au moins, atténuer la lourde peine qu’il a écopée. Les interventionnismes, ou encore, les tentatives de politisation ont été dénoncés par le Syndicat des magistrats. Comment allez-vous manœuvrer pour en préserver la justice ? Je n’accepterais aucune intervention ni politisation de la justice. Seulement, j’exige une rigueur et le respect de la loi et des règlements. Ceux qui ne respectent pas les règles seront sanctionnés. Le syndicat défend l’intérêt de ses membres et du corps. En tant que ministre de la Justice, je me dois d’avoir une approche dans le souci de la bonne marche et l’intérêt du système judiciaire. Il fait rétablir l’image, l’honneur et l’autorité de la justice qui est un des piliers de la République. On ne peut pas tolérer les égarements. Je le redis, la loi est faite pour tout le monde et doit être respectée par tous. Dans votre discours durant la passation de service, vous aviez, justement, déploré que les magistrats s’adonnent trop à la politique. Le statut du magistrat est clair. Il ne peut pas faire de la politique. S’il veut faire de la politique, il doit choisir. Soit il fait de la politique, soit il reste dans la magistrature. Cette règle n’est, cependant, pas respectée depuis quelques temps. Des magistrats font ouvertement de la politique. Comment pourriez-vous recadrer les magistrats tout en sachant que la Cour suprême à publié deux notes, l’année dernière, pour les rappeler à l’ordre, mais sans succès. Il faut que les errements dans le comportement cessent. Vous dites que les rappels à l’ordre n’ont eu aucun résultat. J’y répondrais juste, jugez-moi par rapport à mes actes et mes résultats dans le recadrage et les sanctions contre ceux qui ne respectent pas la loi et les règles. Cela prévaut pour les justiciables, mais aussi, les magistrats qui sont des hommes de loi. Il est intolérable que ceux qui sont censés connaître et appliquer la loi l’enfreignent. Photos : Tojo Razafindrantsimba
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