La révolution des colonies prévue dès le XVIIIe siècle


La couleur de peau est (toujours) regardée comme l’indication la plus visible de la race. En outre, le conquérant éprouve toujours, et en tout lieu, un sentiment inné de sa supériorité sur le conquis. « Et au cours des siècles, les nations blanches furent toujours des conquérants : la pratique de l’esclavage suivait alors, comme une conséquence inéluctable. » Pourtant, dès le XVIe siècle, Ronsard lance « un cri de pitié » en faveur de ces races non blanches. Mais ce sont surtout les philosophes du XVIIIe qui osent ouvrir la lutte contre ces idées toutes faites. Dans son « Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des Européens dans  les deux Indes » (une dizaine d’éditions de 1774 à 1784), l’abbé Raynal contribue largement aux vues nouvelles. Il associe très étroitement les avantages d’ordre économique aux mobiles d’ordre moral. Il considère avant tout l’œuvre coloniale comme « une mise en commun des ressources de l’humanité ». « Il (ce grand évènement de la découverte des deux Indes) a procuré à quelques empires de vastes domaines qui ont donné aux États fondateurs de l’éclat, de la puissance et des richesses. Mais que n’en a-t-il pas couté pour mettre en valeur, pour gouverner ou pour défendre ces possessions lointaines ! Lorsque ces colonies seront arrivées au degré de culture, de lumière et de population qui leur convient, ne se détacheront-elles pas d’une patrie qui avait fondé sa splendeur sur leur prospérité   Quelle sera l’époque de cette révolution   On l’ignore, mais il faut qu’elle se fasse. » Parlant de Madagascar, l’abbé Raynal commence par la diversité de sa population qui prouve « qu’ils n’étaient pas tous sortis d’une souche commune ». Abordant son organisation politique, il souligne que la Grande ile est divisée en « plusieurs peuplades », très localisées, indépendantes les unes des autres et se gouvernant selon leurs coutumes. « Un chef tantôt électif, tantôt héréditaire, et quelquefois usurpateur, y jouit d’une assez grande autorité. Cependant, il ne peut entreprendre la guerre que de l’aveu des principaux membres de l’État, ni la soutenir qu’avec les contributions et les efforts volontaires de ses peuples… » L’abbé Raynal parle ensuite de leur tempérament. « Peu de nations supportent la douleur et les évènements fâcheux avec autant de patience que les Madécasses. La vue même de la mort, dont l’éducation ne les a pas accoutumés à redouter les suites, ne les trouble pas. » Et d’expliquer : « C’est peut-être une consolation pour eux d’avoir la certitude qu’ils ne seront pas oubliés lorsqu’ils auront cessé d’exister. Le respect pour les ancêtres est poussé plus loin… Il est ordinaire d’y voir des hommes de tous les âges aller pleurer sur le tombeau de leurs pères et leur demander des conseils dans les actions les plus intéressantes de la vie. » Il se fait également leur avocat car les Malgaches sont accusés (« calomniés ») d’être une « nation féroce », sur un petit nombre d’actes isolés « d’emportement et de rage ». Ce qui est faux car selon l’auteur, ils sont « naturellement» sociables, vifs et gais, accueillent bien les voyageurs « traités comme des frères » qui pénètrent à l’intérieur des terres, les secourent dans leurs besoins. Même sur les côtes où la défiance est généralement plus grande, les navigateurs ne subissent que rarement des agressions. « Vingt quatre familles arabes qui, très anciennement, avaient usurpé l’empire dans la province d’Anosy, en ont longtemps joui sans trouble et l’ont perdu en 1771, sans être chassés, ni massacrés, ni opprimés. Enfin, la langue de ces insulaires se prête aisément à l’expression des sentiments les plus tendres ; et c’est un préjugé très favorable de la douceur de leurs mœurs, de leur sociabilité… » L’abbé Raynal envisage aussi les possibilités offertes par l’ile à la France et propose un programme qu’elle aura à réaliser. « C’est par la voie douce de la persuasion, par les avantages de notre police, par les jouissances de notre industrie, par la supériorité de notre génie, qu’il faut amener l’ile entière à un but également utile aux deux nations. » Et déjà, il parle d’une législation adaptée aux mœurs, au caractère et au climat, ainsi que d’un  changement progressif. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Archives personnelles
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