Quarante mille soldats malgaches sur tous les fronts


Avant la période qui précède la Première guerre mondiale, Victor Augagneur, gouverneur général de Mada­gascar de 1905 à 1910, se met à dos missionnaires et colons, les premiers mécontents de sa politique religieuse et scolaire, les seconds étant, pour la plupart, partisans de la colonisation intransigeante. Des ligues et des syndicats se forment. Les campagnes de presse se multiplient. Bref de quoi faire régner un climat tendu dans la Grande ile, commentent des historiens. Victor Augagneur, adversaire de la violence, croit en la « mission civilisatrice » de son pays. « Univer­sitaire, il reprend à son compte la politique d’assimilation évoquée par son prédécesseur ». Le décret du 3 mars 1909, prévoit que « la qualité de citoyen français devrait pouvoir être accordée aux Malgaches qui se seraient rapprochés de nous par leur éducation, qui auraient adopté notre civilisation et nos mœurs, ou qui se seraient signalés par leurs services ». Le conditionnel montre bien la portée limitée du décret. Roger Pascal, dans « La République malgache », souligne que « la naturalisation était une faveur réservée, à titre personnel… Elle était restrictive». Victor Augagneur quitte Madagascar en juillet 1910, et les colons et les missionnaires s’en réjouissent. Mais certains Malgaches le regrettent. En effet, désireux d’atténuer les effets de la colonisation, le gouverneur radical ne parvient pas à s’élever au-dessus des problèmes. Sa politique scolaire, en particulier, prive les enfants malgaches de l’instruction indispensable à la promotion sociale qu’il souhaite sincèrement. Parce qu’il défend l’intérêt général de la Colonie, il suscite l’opposition de ses concitoyens, dont la rancune tenace l’empêche de retrouver son poste en 1920. Albert Picquié lui succède jusqu’en 1914 . Son administration se déroule sans histoire, il s’attache tout simplement à liquider l’héritage administratif de Gallieni et d’Augagneur. La relève des militaires se poursuit, elle est virtuellement terminée en 1914. Le gouvernement des cantons, en général administré par des fonctionnaires malgaches, permet des économies budgétaires. Cependant, la totalité des districts, sauf neuf, est entre les mains des Français. Et la séparation des Églises et de l’État est adoptée à Madagascar par un décret d’apaisement. Des travaux d’urbanisme sont entrepris à Antananarivo et à Antsirabe. Dans la capitale, la conquête des rizières d’Analakely permet de mettre un point final à la réalisation du chemin de fer dans la côte Est, par la construction de la gare de Soarano, en 1910. « C’est la ville basse qui s’ébauche lorsque la guerre éclate, le 2 aout 1914. » À Madagascar comme en France et en Europe, on pense que la guerre sera courte, mais elle dure plus de quatre ans, jusqu’en novembre 1918. C’est un conflit mondial au cours duquel s’affrontent deux blocs de nations qui mettent toutes leurs ressources en œuvre pour vaincre. Pour la première fois, la guerre s’étend au-delà de l’Europe. La Turquie et le Japon en 1914, les États-Unis et le Brésil en 1917, se lancent dans la tourmente. En effet, le développement des techniques raccourcissant les distances entre les continents et les peuples, généralise le conflit. « Les puissances coloniales, l’Angleterre et la France notamment, jettent tout le poids de leurs empires dans la balance. Madagascar participe donc à l’effort de guerre français. » Albert Picquié quitte la Grande ile alors que la guerre débute. Il sera remplacé par Hubert Garbit (1914-1917) qui sert déjà sous Augagneur et Picquié. Il est bien informé des problèmes de la Colonie où il a passé plus de dix ans. Les combattants malgaches sont nombreux à être engagés dans l’armée française, 45 863 dont 41 355 se battent sur les champs de bataille aux côtés des soldats français. Selon A. Dandouau et G.S. Chapus, « la moitié de cet effectif a donné sa vie dans les combats- quatre mille morts- ou des suites de blessures et de maladies contractées en service ». Le Bataillon de chasseurs malgaches, le XIIe BCM, se couvre de gloire en juillet 1918, sur le front de Champagne. Parallèlement, les exportations vers la Métropole augmentent car celle-ci, lancée dans cette guerre totale, mobilise ses hommes jeunes et produit beaucoup moins. Il s’agit de nourrir les combattants que la mobilisation arrache à leurs campagnes. Les approvisionnements en vivres- produits agricoles et surtout viande- en cuirs, en produits miniers- graphite et mica- enrichissent les exportations, tandis que sur le marché local les denrées sont plus rares et les prix montent. L’effort d’équipement est presque interrompu, la situation monétaire devient mauvaise, l’insuffisance est presque interrompu, obligeant les autorités à émettre des billets de banque dans lesquels les populations autochtones n’ont guère confiance. Et les nombreuses souscriptions ajoutent encore aux difficultés.
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