Il était une fois - Le Grand Sud, terre de résistance


Nous allons faire une incursion dans le Sud. Des régions qui évoquent d’emblée le soleil, la terre rouge, le sable qui remplace le goudron et les hommes qui font face à l’adversité avec le sourire. [caption id="attachment_60823" align="alignleft" width="332"] Le Grand Sud, le pays où les hommes, les zébus,
et la nature doivent dompter la terre hostile.[/caption] L’Anosy et l’Androy le long de la RN13, terres de résistance. À 60km/h en moyenne, avec des pics de 80km/h, Dadabe Charles louvoie entre le restant de bitume qui recouvre la RN13 et les nids-de-poule extra larges qui la composent dans sa majeure partie. À l’arrière, ses passagers, harnachés à la ceinture de sécurité, bien utile si l’on tient à un minimum de stabilité, tentent de s’accrocher tant bien que mal. « Si l’on ne veut pas finir embourbé dans le sable, il faut rouler vite », explique-t-il. Ses lunettes vissées sur le nez et des cheveux qui commencent subrepticement à blanchir, lui a sûrement prévalu ce surnom « d’ancien », de « papy ». Pour ceux qui le rencontrent pour la première fois pourtant, l’homme se présente dans la force de l’âge. Une force qui lui permet certainement d’avaler d’une traite les 107 km, intouchées depuis la première République, qui séparent Taolagnaro, la capitale de la région Anosy, d’Ambovombe, grande ville antandroy. Pour faire connaissance avec le grand Sud, cette nationale est sans doute le chemin le plus court pour y arriver. À son départ de Taolagnaro, les rizières, les manguiers, les tamariniers qui la longent et sur lesquels semblent veiller le massif de l’Anosy, précèdent une végétation plus coriace, toujours verte, mais incarnant déjà cet esprit de résistance qui prévaudra dans toute la région. Le « raketa », nom donné au cactus dans le Sud, en est la parfaite illustration. Il est le roi de ces terres arides. « L’Antandroy en donne à manger à ses zébus lorsqu’il n’y a plus rien de vert qui pousse après des semaines et des mois sans pluie », explique Dadabe Charles. « Il le fait bouillir pour enlever les épines et le goût âcre. » Il est Antanosy, donc originaire de la région de Fort-Dauphin, qui longe le littoral Sud, mais il connaît l’Androy comme sa poche, la région située un peu plus à l’intérieur des terres. « Avec les Antandroy, nous sommes des mpiziva », explique-t-il. Des frères pas vraiment ennemis, mais qui adorent se détester... fraternellement. Il n’est pas en terre inconnue. Avec lui aux commandes du pick-up qui n’a aucune pitié pour les lombaires citadines, l’esprit de résistance du Sud s’apprend. Un peu plus à l’intérieur des terres, sur une RN13 bordée par les « raketa », comme une haie d’honneur, l’Androy, la « terre des épines » ou encore « la terre où se cache l’eau », s’offre fièrement au voyageur. On y croisera un groupe de zébus qui s’abritent sous un tamarinier, une famille rejoignant à pied leur chez-eux avec la femme portant enfant et marchandises, les enfants et l’homme qui a dans la main un unique bâton ou un objet qui lui servira d’arme. En un seul coup d’œil, les différentes fonctions dans le couple sont définies sur la route. Au milieu d’une forêt de bush épineux qui s’étend à perte de vue, l’œil est aussi attiré par la forme de certains tamariniers, au tronc courbé qui, dit-on, indique la direction des vents. Horrifiant Anecdotes, instants de vie, le Sud suscite toutes sortes de sentiments, mais certainement pas de l’indifférence. C’est Philippe Oberlé, dans son livre sur « les provinces malgaches » qui en parle encore le mieux : « C’est l’irréel. Pas une plante, pas un arbre qui ait un aspect familier. On marche en pleine forêt, mais une forêt de rêve sous-marin, une forêt d’arbres sans feuilles, de grandes euphorbes que l’on nomme fantsiholitra, dressant de grands moignons sinistres. À leur pied, un lit de cactus et puis, sous cette futaie, un taillis d’arbustes fantastiques : le rahondra ou l’arbre à saucisses, le famata ou chaque chose comme un cornichon. Parfois, un baobab monstrueux et difforme. C’est horrifiant. Toutes ces branches vous entourent, vous menacent comme des tentacules. Cette nature est hostile. Pas une plante sans épine. Une belle fleur rouge s’épanouit, engageante. Vous la touchez, elle vous blesse. Un arbre hypocrite vous repose l’œil, avec un air bénin de saule pleureur : cette fois, c’est bien une feuille, de ce pâle argent que reflètent les étangs de chez nous : n’y touchez pas, elle est hérissée d’épines. » [caption id="attachment_60824" align="alignleft" width="300"] Le fruit du « raketa », le cactus très répandu dans le Sud, la figue de Barbarie, se vendrait à prix d’or en Europe.[/caption] [caption id="attachment_60825" align="alignleft" width="300"] Le manioc est toujours là en cas de coup dur.[/caption] [caption id="attachment_60826" align="aligncenter" width="300"] Jour de marché sous le tamarinier. La viande de chèvre s’expose fièrement.[/caption] Iavisoa, courageuse porteuse d’eau [caption id="attachment_60827" align="alignright" width="300"] Avec le sourire, Iavisoa (à g) montre comment elle transporte l’eau.[/caption] Elle ne sait pas très bien : 19 ans, peut-être 20 ans. Une personne à côté d’elle précise qu’elle a, en fait, 36 ans. Ce dont elle est sûre, c’est du nombre de ses enfants : dix en tout. « Et demi », précise -t-elle dans un grand éclat de rire en montrant son ventre rond. Sur son dos, enveloppé dans un lamba, elle porte également son petit dernier. Puis elle raconte, à côté d’une femme âgée qui vend l’eau à 200 ariary le « zinga » (sorte de carafe en plastique d’une capacité d’un litre), comment elle se procure son eau. Avec son ventre rond et son bébé derrière le dos, le bidon d’eau sur la tête, elle va chercher l’eau à Ambovombe, à près de douze kilomètres de chez elle. À pied, sous le soleil de plomb du Sud. « L’eau c’est la vie » [caption id="attachment_60828" align="alignleft" width="300"] Mandimby et sa charrette.[/caption] L’Androy manque d’eau. Cruellement. Dans cette région, plaisante le maire de Maroalomainty, petite commune située à près d’une heure d’Amboasary, « les cyclones sont une bénédiction des Dieux ». Puis il ajoute : « L’eau c’est la vie. » Les précipitations sont faibles, mais non dérisoires, expliquent les spécialistes de la région. La moyenne annuelle est comprise entre 500 et 1 000 mm. En comparaison, les Hautes-terres centrales reçoivent plus de 1 200 mm par an. « C’est le trop grand espacement des chutes de pluie conjugué à un ensoleillement excessif qui donne leurs spécificités au climat et à la végétation de l’Androy. » Dès lors, les hommes, tout comme les plantes, se sont adaptés à la situation. Aussi n’est-il pas rare de voir des jeunes comme Mandimby, le long de la RN13, transporter à bord de sa charrette à bœufs, des bidons jaunes et bleus pour les grosses, remplies d’eau qui sera vendue dans la localité la plus proche, à 1500 ariary le litre. Besmeda, la recette miracle [caption id="attachment_60829" align="alignleft" width="300"] Le Besmeda, une sorte de ragoût de chèvre, cuit à l’eau, est très apprécié[/caption] C’est juste un croisement. Mardi, jour de marché, les piles de manioc sec s’y entassent pêle-mêle, en attendant d’éventuels acheteurs. Un peu plus loin, à l’ombre d’un tamarinier, des femmes étalent les fruits du raketa, les fameuses figues de barbarie qui, dit-on, s’achètent à prix d’or en Europe. Juste à côté d’elles, de la viande de chèvre est étendue sur un support en bois. Besmeda devient un quatre-chemin animé. Ce ne sont pourtant pas tous ces produits qui font que le voyageur s’y arrête. De l’autre côté de la route, en face du tamarinier, de la viande de chèvre mijote dans un bouillon. « C’est un mets très apprécié ici », explique Charles, chauffeur habitué à cette région rude de l’Androy. « On appelle ce plat le Besmeda. C’est un passage obligé pour tous les voyageurs qui passent sur cet axe. La viande de chèvre est cuite à l’eau. C’est le bouillon qui est surtout consommé. Il redonne de la force. La viande de chèvre ainsi cuite devient très tendre. » Les morts accompagnent les vivants [caption id="attachment_60830" align="alignright" width="421"] Si leurs maisons sont en bois, les tombeaux antandroy sont en dur et définissent le défunt
de son vivant. Plus le défunt est riche, plus le tombeau est imposant.[/caption] Partant de Taolagnaro, des stèles érigées le long de la nationale 13 attirent le regard et la curiosité. Charles, chauffeur familier de cet axe du Sud, explique qu’elles y sont élevées pour remplacer le tombeau construit loin des regards. « Elles sont là pour se rappeler le défunt », explique-t-il. En s’enfonçant un peu plus dans les terres, les monuments funéraires changent d’aspect, dans l’Androy, toujours visibles le long de la route. Ce sont désormais de magnifiques tombeaux, qui prédominent. Des noms y sont inscrits parfois, des images, mais surtout surplombant la tombe, une petite maisonnette caractérise le tombeau antandroy. « Toutes ces figures et images définissent ce qu’était le défunt de son vivant », précise Charles. Plus l’homme est riche, plus sa sépulture doit être imposante. Sa construction- que le futur défunt entame généralement de son vivant- obéit à des règles précises. Par exemple, le lieu et le jour de la pose de la première pierre doivent être déterminés par le devin, l’ombiasy. Des cornes de zébus sont également entreposées sur la tombe. À la mort du défunt, la coutume veut que tout son troupeau soit abattu. L’hécatombe peut atteindre des centaines de têtes, et il n’y a pas si longtemps encore, les anciens parlent de sacrifice de milliers de tête. La viande est consommée par la famille, les proches et les gens qui assistent aux funérailles qui peuvent durer plusieurs jours. Textes : Rondro Ratsimbazafy Photos : Tojo Razafindratsimba
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