Lâcher prise


La «Grande Muette» devrait rester, justement, muette. Il est bon que les chefs militaires rétablissent les fondamentaux de «discipline» et de «hiérarchie», mais inutile d’en faire la publicité. C’est par des actes, en interne, que le problème doit se régler, pas en conférence de presse. Que les accents martiaux tonnent, mais en rassemblement, pas à la Une des journaux. Qu’une armée respecte le principe hiérarchique et fonctionne à la discipline, rien que de parfaitement normal, alors pourquoi en faire un gros titre. Le soleil se lève à l’Est : qui s’en soucierait au quotidien, ce n’est même pas un marronnier journalistique. Les militaires malgaches, par la faute d’une poignée de minables, n’ont que trop fait parler d’eux. La démarche de normalité de l’armée malgache doit d’abord être une attitude de banalité. Qu’on n’entende plus les généraux se mêler de politique (ou d’économie) et qu’on n’entende plus murmurer dans les rangs. En France, des généraux s’étaient exprimés sous le nom de plume «Surcouf». Pour critiquer le «Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale». Cinq ans plus tard, en 2013, des capitaines et lieutenants, réunis sous le nom de «collectif Marc Bloch», devaient dénoncer «le déclin militaire de la France» en regrettant sa perte de capacité opérationnelle. En Grande-Bretagne, c’est en 2010 que cinq amiraux à la retraite (Lord West, Sir Julian Oswald, Sir Jeremy Blackham, John McAnally, Julian Thompson) choisirent de critiquer la réduction du format de la Royal Navy, comparant la situation à la perte de Singapour face aux Japonais, en 1942. Chaque fois, ces militaires, français (réfugiés dans l’anonymat) ou britanniques, s’exprimant en leur nom et non en celui de l’institution, n’ont abordé que le sujet militaire : leur domaine de moindre ignorance. Que des militaires malgaches évoquent la réforme de l’académie militaire, un nécessaire déploiement maritime ou la reconstitution d’une armée de l’air, ne ferait pas scandale. Mais, on ne souhaite plus que l’armée s’immisce dans la politique. La mutinerie d’un régiment, en 2009, avait entraîné Madagascar dans la pire catastrophe de son histoire républicaine. Quand les chefs militaires prennent la parole, qu’ils soient conscients d’abord de ce traumatisme dans l’opinion. Dans un pays à la culture politique encore balbutiante, il leur faut ne pas oublier le poids de leurs étoiles et l’instrumentalisation qu’on peut faire de chacun de leurs mots. En 1972, la classe politique malgache était encore plus embryonnaire qu’actuellement. Et il avait semblé presque naturel qu’un régime aux abois fasse appel à la seule structure organisée de l’époque : l’armée. La politisation de l’armée, qui allait s’ensuivre, la perte des repères, l’embrouillamini des valeurs, ont culminé dans le putsch de 2009. Nous voilà en 2018 : il faut aux généraux la sagesse de renoncer à peser. En psychologie, à moins que ce ne fût une vieille sagesse bouddhiste, il faut savoir lâcher prise. Par Nasolo-Valiavo Andriamihaja
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