Un véritable mythe créé autour de Ranavalona Ire


A-t-elle été une grande reine, comme Andrianampoinimerina et Radama, Andriandahifotsy et Ratsimilaho ont été de « grands rois » ? La question est posée par Simon Ayache dans une esquisse pour le portrait de cette souveraine, en constatant que cette dernière n’a vraiment pas très bonne réputation. « On ne peut le prétendre car elle n’apparait pas aussi responsable qu’eux des évènements historiques si considérables dont son règne porte la marque. » « Fut-elle du moins, comme Victoria d’Angleterre, la reine d’un grand règne ? » Pas davantage car « l’histoire n’accorde généralement à cette période, fort longue d’ailleurs (1828-1861), le même caractère d’épanouissement ou de fécondité qu’elle reconnait à l’œuvre des plus célèbres princes d’Imerina, des pays sakalava ou de la Confédération betsimisaraka ». Pour cette reine, le « tribunal de l’histoire » qui existe dans l’opinion populaire, hésite et rapidement condamne ! « Point de légende », indique Simon Ayache, « sinon celle d’un personnage sorti de la nuit, qui mérite les noms d’Ogresse couronnée, de Néron, Caligula, Messaline malgache… À l’heure de l’indépendance reconquise, la souveraine qui défendit âprement son royaume contre les convoitises coloniales des puissances européennes et qui régna trente trois ans sur la ville de Tananarive du haut de Manjakamiadana, sur les collines de l’Imerina, sur l’ile immense de Madagascar, n’a pas mérité de voir son nom consacré à l’une de ces plaques de gloire que distribuent, selon le sentiment populaire, les conseils municipaux. » Dans la capitale, Andrianampoinimerina a son avenue, Radama sa rue, mais on ne trouve même pas une petite impasse dédiée à lui offrir. Son image est, semble-t-il gênante : Ranavalona Ire assassine ses adversaires au trône, fait exécuter les prisonniers, persécute les chrétiens, ferme les écoles, bloque les ports au commerce. « L’histoire l’accable, ses défenseurs restent timides. Pourquoi tant d’opprobre ? » C’est à cette question que Simon Ayache essaie de répondre car, dit-il, à force de la charger de « tous les péchés d’Israël », on finit par créer, faute de légende, un véritable mythe où « la reine est désincarnée, perd tout visage humain pour symboliser la honte et le mal ». Jusque dans les années 1970, avance l’historien, l’image de Ranavalona Ire est forgée par des témoins de l’époque, malgaches et étrangers, par des écrivains généralement très « engagés » malgré leurs prétentions d’historiens, tels des « écrivains catholiques ou protestants, historiens de la colonisation, universitaires de l’époque coloniale… » Aussi son portrait n’a-t-il rien de flatteur. Toutefois, signale l’historien, une réhabilitation s’ébauche depuis quelques années, mais « sans recevoir encore beaucoup d’audience, sauf exceptions toutes récentes » (Revue d’études historiques hier et Aujourd’hui, N° 1 et 2, 1975). Ces premiers écrivains qui se sont penchés sur le portrait de Ranavalona Ire, sont influencés par l’opinion de chercheurs ou « simples amateurs » d’histoire malgache. Ces derniers jugent d’un point de vue occidental, « dans la conviction aussi sincère qu’orgueilleuse du salut par la colonisation, ou du moins par l’exemple de l’Europe policée, industrielle et chrétienne ». C’est pourquoi, pour eux, le grand roi reste Radama Ier qui fait appel aux missionnaires britanniques pour instruire ses sujets tout en leur permettant d’entamer l’œuvre d’évangélisation, supprime l’ordalie du tanguin sous l’influence de la morale chrétienne et commence à se moquer des « superstitions » ancestrales, organise son armée à l’européenne et entreprend la conquête du pays, « préface glorieuse et héroïque à l’œuvre de Gallieni ». Il choisit enfin deux sous-officiers européens pour conseillers, l’Anglais James Hastie et le Français Robin. Quant à « l’usurpatrice du trône en 1828 », pensent-ils, « femme illettrée et d’intelligence sommaire, elle orienta son règne dans une direction toute contraire (…) Mais elle poussa l’aveuglement jusqu’à ordonner l’exil de l’excellent Jean Laborde qui l’avait si bien servie de son ingéniosité de Gascon, elle mit à mort les chrétiens et fit boire le tanguin à la population entière de multiples villages ». Et surtout, son plus grand crime est d’avoir osé couper le ravitaillement des iles Mascareignes en exigeant des Européens le paiement d’une amende pour avoir bombardé Toamasina dans un soi-disant geste de légitime défense, alors que la reine décide d’appliquer aux traitants étrangers les lois de son pays. Texte : Pela Ravalitera - Photo : Agence nationale Taratra
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